Magnificat Janvier 2024

Toute reproduction complète d’un article publié dans cette revue est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction de la revue MAGNIFICAT. ©Tous droits réservés MONASTÈRE DU MAGNIFICAT DE LA MÈRE DE DIEU 290 7e Rang – CP 4478 – Mont-Tremblant – QC J8E 1A1 TÉL. 819 688-5225 magnificat.ca L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, demandé par la très Sainte Vierge Elle-même à La Salette (France) a été fondé au Canada en 1962. L’Ordre comprend des prêtres, des religieux et religieuses dont certains viennent de différentes Congrégations dans le but de conserver leur identité et leur fin respective, mais tous suivant une Règle commune: celle qui fut dictée par la Mère de Dieu à La Salette (1846) et fut approuvée par Léon XIII en 1879. L’Ordre compte aussi des disciples, c’est-à-dire des membres laïcs, célibataires ou mariés, vivant en communauté de biens avec les religieux et partageant leurs travaux. Il comprend aussi des tertiaires, membres laïcs vivant dans le monde, mais plus impliqués dans les activités de l’Ordre que les simples fidèles. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu existe et opère sous sa propre Hiérarchie. Il est de foi, de doctrine, de tradition et de pratiques chrétiennes catholiques. Bien que voulant fermement revenir à la simplicité évangélique des premiers temps de la chrétienté, l’Ordre veut garder intacts les enseignements doctrinaux dispensés avec continuité, de siècle en siècle, par les Saints et par les Docteurs de l’Église catholique romaine. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, aussi connu sous le nom Les Apôtres de l’Amour Infini, est reconnu civilement au Canada par une charte fédérale ainsi qu’une charte provinciale (Québec). Il possède aussi des chartes aux États-Unis, en France, en Guadeloupe, à Porto Rico, au Guatemala, en République Dominicaine et en Équateur. L’Ordre est aussi établi en Italie, en Afrique du Sud et en Argentine. Outre l’adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, la prière, l’étude et les travaux de toutes sortes, la Communauté se prête à toutes les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle. Cependant, la fin particulière de l’Ordre est la conservation du Dépôt de la Foi par l’enseignement religieux sous toutes ses formes, aux adultes et aux enfants. Un autre but spécifique est la lutte contre tous les abus qui ont amené la décadence du clergé, de l’état religieux et de la société chrétienne. L’Œuvre travaille aussi en vue de l’unité chrétienne tant désirée par Jésus-Christ, unité dans la vérité.  NOTRE COUVERTURE: Dès que Marie est devenue Mère de Dieu, Elle a exercé Son rôle de Médiatrice en faveur des hommes. Aucune âme ne s’est sanctifiée sans Son intercession; de tout temps, Elle a intercédé pour chacun de Ses enfants, même pour ceux qui n’ont pas eu recours à Elle. Père Jean-Grégoire de la Trinité Pour souligner le 800e anniversaire de la première crèche, représentée à Greccio à la demande de saint François d’Assise, la crèche principale au Monastère du Magnificat (chapelle de Jésus Crucifié) a revêtu une dimension exceptionnelle. Mot d’Ordre 2024: Se faire violence – Souhait: La Sainteté, par Père Mathurin de la Mère de Dieu . . . . . . . . Page 3 Jésus-Christ, le seul Saint – Que Son règne arrive! – La liberté des enfants de Dieu – 8e centenaire de la stigmatisation de saint François – La sainteté selon son état – Jésus, notre modèle – Dieu comble de biens les affamés – 4e centenaire de la consécration du Canada à saint Joseph – Supplément: Pour devenir des Saints (Père Jean-Grégoire de la Trinité) Un Nom au-dessus de tout nom: le saint Nom de Jésus, par le Père Paul O’Sullivan, O.P. . . . . . . . . . . . . . . . 14 Qu’est-ce que le Nom de Jésus? – Les Saints et le Nom de Jésus – La puissance du saint Nom – La doctrine du saint Nom – Pour mettre en fuite le démon – Une prière courte et puissante In Memoriam: M. Harry Bugajski (1932-2021) . . . . . . 24 Oui, je le veux! – La grande épreuve – Un atout providentiel – Montée du Calvaire Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024 Envoi de Poste-publications ISSN 0025-0007 2401-101-3079 Imprimé au Canada Tableau O.D.M.

Magnificat Vol. LIX, No 1 3 Mot d’ordre 2024: Se faire violence Souhait: La Saintete U nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et de la Mère de Dieu. Ainsi soit-il. Bon Père des Cieux, à l’aurore de cette nouvelle année, nous Vous présentons nos meilleurs vœux. Mieux qu’hier, nous voulons aujourd’hui – et davantage demain – Vous glorifier, Vous honorer. Recevez, bon Père des Cieux, cette disposition qu’ont Vos enfants, comme le plus beau des souhaits que nous puissions Vous adresser, comme ce qui Vous réjouira le plus. Jésus-Christ, le seul Saint Cette année, je vous souhaite, mes chers frères, chères sœurs, chers amis, un souhait qui est beaucoup trop vaste et qui en même temps renferme TOUT. Je vous souhaite la sainteté. De prime abord, ce souhait nous semble beaucoup trop vaste car Dieu seul est Saint, comme nous le chantons dans nos messes en français: Car c’est Vous le seul Saint, Vous le seul Seigneur, Vous le seul Très-Haut, Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. Nous chantons aussi le Gloria en latin, A Le royaume des cieux souffre violence, et il n’y a que les violents qui l’emportent. S. Matth. 11, 12

4 Vol. LIX, No 1 Magnificat mais en français, l’on comprend mieux: Vous êtes le seul Saint. Dans la liturgie que nous venons de lire, l’Église veut honorer: Le Père de NotreSeigneur Jésus-Christ, de qui vient toute sainteté...1 Aussi, en vous donnant comme souhait la sainteté, je vous souhaite d’être comme Jésus-Christ, d’être ce qu’Il attend de chacun de vous. La volonté de Dieu est que vous soyez saints,2 dit saint Paul. Mes frères, mes sœurs, plus votre vie sera conforme à la volonté de Dieu, à Son attente, plus vous vous identifierez à Jésus, à Ses exemples, à Sa volonté, plus aussi vous serez saints et glorifierez notre bon Père des Cieux. Mais comment réaliser la sainteté? Ne soyez pas surpris si cette année, Nous vous donnons comme mot d’ordre de vous faire violence, précisément pour être conformes à cette attente de Dieu, pour vous identifier à Notre-Seigneur JésusChrist. Vous serez tous d’accord que ce n’est pas en se laissant aller qu’on devient conforme à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le royaume des cieux souffre violence, nous dit-Il, et il n’y a que les violents qui l’emportent. En vous donnant ce mot d’ordre, c’est cette parole de l’Évangile que je veux mettre en évidence. Que Son règne arrive! Année après année, nous parlons du règne de Dieu. Combien de bonnes âmes, non seulement chez nous, mais partout dans le monde, désirent que le règne de Dieu s’établisse! Combien soupirent, souffrent même, de voir que Dieu ne règne pas sur cette terre! Et encore plus nombreux sont ceux qui souffrent parce qu’ils trouvent que ça ne va pas bien dans le monde, mais sans vraiment savoir pourquoi. On commente l’actualité, ces événements qui 1. Cf. S. Paul, Éphésiens 1, 3 2. I Thessaloniciens 4, 3 ne sont pas très beaux, pas très positifs. Ce n’est pas mauvais d’en être un peu informé, mais à quoi sert de les commenter, si on ne prend pas les moyens pour que le règne de Dieu arrive? Y a-t-il quelque chose de plus grand qui peut arriver sur cette terre que le règne de Dieu? Nous voulons que Jésus règne, nous le désirons, avec passion pour la plupart d’entre nous. Ce désir de voir arriver le règne de Dieu nous consume. Jésus nous l’a dit ainsi: Le royaume des cieux souffre violence, et il n’y a que les violents qui l’emportent. Se faire violence, en résumé, c’est d’aller contre soi, contre son égo, ses caprices, ses passions, ses vanités, son indépendance. Je m’adresse directement à vous, mes frères, vous, mes sœurs, vous, chers amis de cette Communauté, faites-vous violence, pour être conformes à Dieu dans le détail de votre vie, comme Jésus Lui-même nous l’a enseigné: Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera dans les grandes.3 Au cours de l’Histoire de l’Église, dès l’origine, que de Saints ont versé leur sang pour la foi! Ils sont allés jusqu’au martyre. Comment est-ce possible d’être prêt à mourir pour le règne de Dieu? Les premiers Chrétiens, et tous les Saints par la suite, étaient disposés à verser leur sang s’il le fallait. Ils n’ont pas reculé devant le martyre. Parfois, ça se faisait assez vite. Se faire couper la tête, c’est rapide. D’autres fois, c’était long. On lit le récit de certains martyrs, je pense à Jean-Gabriel Perboyre, à Théophane Vénard; ce dernier a été coincé des mois dans une cage de jonc. Il ne pouvait même pas s’étirer, ni s’allonger pour dormir. On venait le piquer et le torturer. «Apostasie. Renonce à ton Jésus.» D’où venait à ces Saints cette force d’âme? Ce n’était plus eux, c’était la grâce de Dieu qui agissait en eux. Et pourquoi ont-ils eu cette grâce? Ils se sont fait violence dans les petites choses, et 3. S. Luc 16, 10

Magnificat Vol. LIX, No 1 5 Dieu a été fidèle, Il les a soutenus de Sa grâce. À travers ces Saints, la foi s’est conservée et s’est répandue sur la terre. On se plaint: «Ah! ça va mal. La foi est perdue.» C’est vrai, la foi s’est perdue, c’est malheureux. Pour autant, à quoi sert-il de se pointer du doigt les uns les autres? Ne faut-il pas plutôt se dire: mon Dieu, mon Dieu, que je suis lâche! Pourquoi craignons-nous tellement ces renoncements, de nous faire violence, d’aller contre notre nature? Dans notre âme, nous avons peur. Le démon est spécialiste pour faire peur aux âmes, il suscite des fantômes effrayants. En dedans, on craint, on a peur de tout. On a peur de souffrir. On a peur d’être méprisé. On a peur de l’évaluation des hommes. On a peur de ce que les autres vont penser, du qu’en dira-t-on, ou juste d’avoir mal, dans notre corps, dans notre âme. Quelle souffrance l’avenir pourrait-il m’emmener? Quand vous avez ces peurs, posez-vous la question: Est-ce que j’ai la foi? Quand vous avez peur de vous faire violence pour rester fidèle et suivre Jésus, avez-vous la foi? Croyez-vous à la parole de Jésus qui nous dit: Mon joug est doux, Mon fardeau léger4? Notre-Seigneur parle de joug et de fardeau, de poids, de choses dures à porter. Se faire violence, c’est dur, pourtant Jésus nous dit: c’est doux et léger. La liberté des enfants de Dieu La plupart des humains, même les mieux disposés, trouvent que le bon Dieu S’impose un peu trop dans leur vie. Il impose Ses commandements, les préceptes de l’Évangile, Sa loi, la conscience, il n’y a plus de porte de sortie. Certains le disent directement, d’autres n’osent pas l’avouer, mais ça les agace. «Mon Dieu, donnez-nous un petit espace. Laissez-nous un peu de slack, un peu de jeu.» La grande majorité pense avoir plus de liberté en s’affranchissant du joug de l’Évangile. On croit avoir plus de 4. S. Matth. 11, 30 Depuis son enfance, SAINT THÉOPHANE VÉNARD avait ressenti la vocation missionnaire: répandre partout le règne de Dieu, au risque même du martyre. Jeune séminariste, il écrivait: «La mission du Tonkin est la mission enviée vu qu’elle offre le moyen le plus court d’aller au Ciel… Oh! si un jour, moi aussi, je devais être appelé à four‐ nir de mon sang un témoignage de la foi!» Lorsqu’il obtient sa nomination, son cœur dé‐ borde: «Je suis heureux et libre au‐delà de toute expression; mon cœur est libre et léger comme un oiseau… La mission où je suis envoyé, c’est la terre des martyrs… Chaque année les produit, comme le printemps ses fleurs et l’automne ses fruits.» Théophane mourut au Tonkin, décapité pour la foi, le 2 février 1861, à l’âge de 31 ans. Le 11 février 1840, SAINT JEAN‐GABRIEL PERBOYRE, missionnaire lazariste en Chine, fut exécuté par stran‐ gulation, après un an d’une dure captivité, ponctuée d’interroga‐ toires et de tortures. Il avait 38 ans.

6 Vol. LIX, No 1 Magnificat latitude en suivant le monde avec ses mondanités, à suivre leurs caprices, leurs appétits, les plaisirs, les vanités. Prenez garde, car ces idées peuvent se manifester dans la vie de tout chrétien, de tout disciple de Jésus qui néglige de se faire violence pour suivre son Maître. Quand on commence à se négliger, à suivre le monde, ses vanités, son mode de vie, son style, ses manières, sa pensée, ce n’est pas long que le monde s’impose. On le constate, le monde s’impose. Dieu nous invite: «Veux-tu, Mon enfant? Le royaume des cieux souffre violence, et il n’y a que les violents qui l’emportent.» Jésus nous dit ni plus ni moins: Si vous voulez établir Mon règne sur la terre, faitesvous violence. Si vous voulez être Mon disciple, renoncez-vous, prenez votre croix tous les jours, et suivez-Moi.5 C’est une invitation. Et plus nous faisons ce qui contrarie notre nature, plus le joug devient suave. Le monde fait le contraire, il vous appâte, il vous séduit. Vous adoptez sa pensée, et éventuellement, vous êtes pris sous son joug. Vous devez le suivre. Et plus vous le suivez, moins vous avez le choix. Vous devez adopter sa manière, ses modes, sa pensée, sa folie. Le monde dit que suivre Dieu c’est de la folie, mais la vraie folie est généralisée aujourd’hui sur la terre. Et le monde va encore plus loin: éventuellement, il s’impose à vous avec violence. Si vous ne voulez pas suivre sa folie, il vous persécute. On va commencer par vous mettre à l’amende, et on peut même vous mettre en prison. Ça peut aller loin, et la tendance se développe de plus en plus. Quel est le remède à cette violence du monde pour imposer sa folie diabolique, destructrice, contraire à Dieu, et même de plus en plus contraire à l’humanité? Il faut que le règne de Dieu arrive sur cette terre. Pour qu’Il règne: Le royaume des cieux, nous dit Jésus, souffre violence, et il n’y a 5. Cf. S. Luc 9, 23 que les violents qui l’emportent. C’est la raison du mot d’ordre que je vous donne. Je vous répète ce que je vous ai dit ces deux dernières années, mes frères, mes sœurs: faites-le gracieusement. Cela paraît contradictoire, n’est-ce pas? mais c’est la réalité. Faites-vous violence gracieusement, c’est-à-dire de telle sorte que vous n’accabliez pas votre prochain. Ce n’est pas à votre frère ou à votre sœur que vous faites violence. Vous faites violence à vous-même pour aller contre tout ce qui peut vous détourner de la volonté de Dieu, de Son attente. Nous les humains, nous sommes tellement terre à terre, sous l’emprise de la loi de la gravité. Notre cher Père Jean-Grégoire aimait à faire cette comparaison: nous sommes un peu comme des crapauds à qui Dieu demanderait de voler. Si le crapaud était doué de raison et de liberté, il n’aurait qu’à s’incliner: «Dieu le demande, je le fais», au lieu de commencer à dire: «Mais je ne suis pas fait pour ça, je suis galeux, je suis fait pour être sur mon ventre, pour ramper à terre. Quand je saute, c’est à peine si je m’élève un peu du sol et je retourne sur mon ventre. Moi, je suis fait comme ça, mon Dieu, ne me demandez pas autre chose.» Dieu nous demande, à nous, pauvres pécheurs, de nous identifier à Sa volonté, à la sainteté de notre Père des Cieux. Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.6 Nous n’avons qu’une chose à faire, nous faire violence pour y arriver, mais le faire gracieusement, sans accabler notre prochain. Nous voulons tellement être agréables à notre bon Père des Cieux. Sous Son divin regard, nous nous morfondons en quelque sorte dans l’intime de notre être, pour essayer de Le charmer, Le toucher, en acceptant toutes les circonstances providentielles qui nous font souffrir et nous détachent de la terre. 6. S. Matth. 5, 48

Magnificat Vol. LIX, No 1 7 Au lieu de nous laisser aller à nous plaindre sur la place publique de toutes nos petites souffrances, faisons à nous-même cette violence de garder le silence sur les épreuves qui nous visitent. Autant que possible, conservons un certain air gracieux, d’abord pour charmer notre Père des Cieux et, éventuellement, aussi pour être agréable à notre prochain. Être agréable à notre prochain pour, sans même parler, l’attirer dans cette voie du renoncement à soi-même. Oh! puissions-nous avoir cette pensée de Dieu! Mon joug est doux et Mon fardeau léger7 pour celui qui se fait violence. L’Évangile est un. On ne peut pas le diviser, on ne peut pas le séparer. On essaie de sauter les pages qui ne nous conviennent pas. Celle-là, ça passe, par contre cette autre, c’est trop dur. Non, nous devons prendre l’Évangile tout entier, sans sauter de pages. 8e centenaire de la stigmatisation de saint François Nous venons de fêter le 8e centenaire de la représentation de la crèche inaugurée par saint François d’Assise. Au mois de septembre de cette année 2024, nous commémorerons le 800e anniversaire de l’impression de ses stigmates. Les historiens croient que c’est le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix, le 14 septembre 1224, que saint François aurait reçu les stigmates. L’Église a établi cette fête le 17 septembre. Dans une solitude sauvage du mont Alverne, situé au nord d’Assise, saint François et quelques frères s’étaient construit de 7. S. Matth. 11, 30 petites cabanes en branches pour se préparer à la fête de saint Michel Archange, en faisant carême, par le jeûne, la prière et la pénitence. C’est là qu’un Séraphin lui est apparu et a imprimé les cinq plaies en son corps: les mains et les pieds percés, ainsi que son côté. Avant sa conversion, le jeune François était un bon vivant. Toute Assise connaissait ce fils mondain du riche marchand de tissus. L’argent de son père lui roulait dans les mains; il en profitait pour faire la fête avec ses amis. Et ce garçon s’est converti. Il a embrassé et même baisé la joue d’un lépreux. Si ce n’est pas se faire violence! Mais François s’est fait violence tellement gracieusement qu’il a attiré à sa suite une partie de la jeunesse d’Assise, et même des gens plus âgés. Ils ont suivi François qui avait adopté l’Évangile dans l’esprit le plus pur, le plus strict, le plus austère, dans le plus violent, pour employer le mot de NotreSeigneur. En allant contre tout ce qui était mondain, saint François a fait scandale, même parmi le clergé de son temps. Il a embrassé l’esprit de l’Évangile, en suivant cette voie avec toute la perfection que Dieu lui inspirait. La sainteté selon son état La sainteté, c’est l’œuvre de Dieu. Dieu ne destine pas le même chemin à chaque âme. Par contre, toutes les âmes doivent manifester en elles un reflet de la sainteté de Dieu. Et pour y arriver, Il nous demande de nous renoncer. Se renoncer, c’est synonyme de se faire violence. Jésus nous dit:

8 Vol. LIX, No 1 Magnificat Si vous voulez être Mon disciple, renoncezvous. Prenez votre croix tous les jours et suivez-Moi. Se faire violence, se renoncer, prendre sa croix, c’est la même chose. Et c’est ainsi que Dieu Se fabrique des saints. Et ça prend des saints. Ce ne sont pas les commentaires sur l’actualité qui manquent. Ce qui manque sur la terre, ce sont des saints. Ça prend des saints comme saint François d’Assise. Au tout début de sa conversion, il a embrassé un lépreux, parce qu’il a perçu en lui l’image de Jésus souffrant. Il se disait: cet homme-là manifeste d’une manière vivante et tangible Jésus flagellé, montant au Calvaire, tout en sang, couvert de crachats et d’immondices. En embrassant ce lépreux, François ne voyait que Jésus. La pensée de la Passion de Jésus, de Ses souffrances, nourrissait son âme, nourrissait sa prière, nourrissait sa contemplation, nourrissait sa pensée. Il était tellement pénétré de la Passion de Jésus, que Dieu a imprimé en sa chair les stigmates. Jésus nous disait au tout début de la Communauté: «Tenez-vous en esprit sans cesse au pied du crucifix, au pied de la Croix où Moi, votre Sauveur, Je suis attaché. Méditez continuellement Ma Passion et vous ne serez pas si lâches...» Contemplez, méditez Ma Passion, Mes souffrances, les ignominies, les mépris que J’ai traversés et vous ne serez pas si lâches. Les Franciscains ont le Sanctuaire de l’Alverne, en Italie, où saint François a reçu les stigmates. Ici, au Monastère, nous avons la montagne dédiée à saint François, sanctifiée par la visite de ce Saint qui s’y est manifesté à notre Père Jean-Grégoire, avec Jésus souffrant Sa Passion. Père Jean a lui-même souffert la Passion en cet endroit. Saint François nous a appelés ses petits frères de la terre. Cette année, pour souligner ce 800e anniversaire des stigmates de saint François, nous allons honorer bien spécialement notre frère du Ciel dans ce lieu que le Ciel lui-même a désigné pour nous. Depuis le début de la Communauté, invariablement, chaque vendredi, un de nos Pères fait le chemin de croix à la montagne. Quelques-unes de nos religieuses le font aussi depuis plusieurs années. Mes frères, cette année, nous poserons un geste très pratique. Nous irons plus nombreux suivre toutes les semaines le chemin de croix à la montagne, par petits groupes délégués. Jésus, notre modèle À Noël, nous avons vu Jésus, le Verbe de Dieu, descendre de Son Ciel pour prendre la figure humaine. Le Tout-Puissant quitte le L’humble chapelle Saint‐François au sommet du Via Crucis La montée du Calvaire

Magnificat Vol. LIX, No 1 9 Ciel pour venir dans une mangeoire d’animaux, une étable infecte. C’est là qu’Il est né. N’était-ce pas Se faire violence? J’aime à vous rappeler l’histoire de César, agissant comme s’il était tout-puissant, en ordonnant le recensement de tout le monde connu. Et Dieu, le vrai Tout-Puissant a inspiré saint Joseph et la Vierge Marie d’obéir à cet orgueilleux empereur. Le Tout-Puissant Se manifeste à nous à ce moment-là. En obéissant, Il commence notre salut, notre rachat. Mes frères, mes sœurs, un des bons moyens de se faire violence, facile et accessible, mais combien coûteux à notre nature: obéissez. L’obéissance est la manière merveilleuse de se faire violence. Joseph et Marie ont obéi à un empereur païen, là-bas à Rome. Le Tout-Puissant vient en obéissant et c’est ainsi qu’Il Se manifeste, dans l’impuissance d’un nouveau-né. Mais j’entends votre cœur quand on vous parle de la sorte. Vous dites: «Mon Père, ça fait cinq ans, ça fait trente ans, ça fait cinquante ans que je suis religieux et que je m’y applique. Je renouvelle ce désir en moi de me faire violence.» Malgré vos efforts, il vous semble que vous n’arrivez à rien. Votre cœur souffre. À chaque jour, mon frère, ma sœur, cher ami, à chaque jour, reprenez votre croix et suivez Jésus. Dieu comble de biens les affamés Dans l’intime de vos cœurs, mes frères et sœurs, désirez, préférez le vouloir de Dieu, préférez cette violence contre vous-même et tout ce qui est contraire à Dieu. Je sais que vous souffrez de ne pas y arriver. À Jésus, à notre bon Père des Cieux, dites dans votre cœur: «Mon Jésus, mon Dieu, je le veux. Je le désire. Je veux me faire violence, me renoncer. Je veux être conforme à Votre volonté. Je désire que Votre royaume arrive sur la terre. Je crois à Votre parole qui dit que le royaume des cieux souffre violence, et qu’il n’y a pas d’autre moyen pour qu’il se produise en moi. Je le crois, mon Dieu, je le crois.» Désirez-le avec violence, avec véhémence, avec intensité. Selon le livre de la Sagesse,8 le commencement de la sainteté, de l’amour de Dieu, de cette perfection à laquelle Dieu nous invite, c’est d’avoir un véritable et violent désir de l’obtenir. Ayez ce désir violent, maintenant, en écoutant ces pauvres paroles un peu austères, pour que le règne de Dieu s’établisse enfin. Que nous ne fassions pas la sottise d’augmenter le lot de la folie humaine sur la terre, mais que nous soyons 8. Cf. La Sainte Bible, Sagesse 7, 7-9: J’ai désiré et cela m’a été donné. Désirer parvenir à la sainteté et souffrir tout pour plaire à Jésus-Christ; et si nous n’avons pas ce désir, prier le Seigneur de nous l’accorder dans Sa bonté, car sans véritable désir de nous sanctifier, nous ne ferons jamais aucun progrès dans la perfection. Deux grands moyens de se sanctifier: le DÉSIR et la RÉSOLUTION… Résolution! Résolution! Le démon ne craint pas les âmes irrésolues… Celui qui, au contraire, est vraiment résolu de se donner à Dieu ne manquera pas de surmonter ce qui lui semblait insurmontable. Une volonté déterminée triomphe de tout. Quand une âme est ainsi résolue, le Seigneur la fait voler dans la voie de la perfection. Saint Alphonse de Liguori

10 Vol. LIX, No 1 Magnificat fous de la folie de Dieu qui est la vraie Intelligence et la vraie Sagesse. Au sujet des temps actuels tellement difficiles, nous pourrions encore citer l’Évangile qui nous dit: Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice... Dans l’Évangile, le mot justice est synonyme de sainteté. L’Évangile dit de saint Joseph qu’il était un homme juste, c’est-à-dire qu’il était saint. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît.9 Vouloir établir le règne de Dieu sur la terre et travailler à se sanctifier, ça va ensemble, ça ne se sépare pas. Le reste vous sera donné par surcroît. Ça va mal dans le monde, il semble ne pas y avoir de solution? Le bon Dieu S’en occupe. Il y aura des temps difficiles, et ma foi! pires que vous ne le pensez. Ne vous préoccupez pas. Ne vous tracassez pas. Jésus nous l’annonce: Cherchez le royaume de Dieu et sa justice, la sainteté. Le reste va se régler. Jésus nous dit aussi: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.10 Je vous le répète, la jus- 9. S. Matth. 6, 33 10. S. Matth. 5, 6 tice, c’est la sainteté. La Vierge Marie chante dans Son cantique du Magnificat: Il comble de biens les affamés.11 Avez-vous faim? Désirez-vous vraiment ce que Dieu attend de vous, tout en vous trouvant lâches pour vous faire violence et accomplir ce qui coûte à votre nature? Il comble de biens les affamés. Développez cette faim, cette soif. Souffrez-en! Ô bienheureuse souffrance! Oh! la belle, oh! la bonne souffrance! Dans l’Évangile, nous lisons le récit de Zachée12. Ayant entendu parler de Jésus, il veut Le voir. Étant court de taille, il monte dans un arbre. Il se sépare de la foule. Il ne veut voir que Jésus. Le bon Dieu avait mis ce désir en lui. C’est ainsi qu’Il commence Son œuvre en nous. Mais il faut suivre cet attrait que Dieu nous met dans le cœur, dans l’âme. Le petit Zachée a fait l’effort de grimper, ce qui est plus difficile pour de courtes jambes. Il se sépare de tout le monde. Il s’isole, en quelque sorte, pour mieux voir Jésus, pour mieux Le contempler, pour être plus attentif. Il fait un effort, se fait violence, parce qu’il désire voir Jésus, Le connaître. Quand 11. S. Luc 1, 53 12. S. Luc 19, 1-10 Un homme, nommé Zachée, chef des Publicains et fort riche, cherchait à voir Jésus pour Le connaître. Mais comme il était de petite taille, il ne le pouvait, à cause de la foule. Il courut donc en avant et monta sur un sycomore, afin de bien Le considérer, car Jésus devait passer par là. Arrivé en cet endroit, Jésus leva les yeux, et l’ayant vu: «Zachée, lui dit-Il, descends vite: c’est dans ta maison que Je dois M’arrêter aujourd’hui.» Il descendit à la hâte et, plein de joie, il reçut le Seigneur. S. Luc 19, 2-6 Tableau O.D.M.

Jésus passe, Il lève les yeux sur Zachée. Voyant le désir sincère de cet homme, Il oublie toute la foule qui L’entoure. «Zachée! c’est chez vous que Je M’en vais.» Vous connaissez la suite du récit. Zachée, le chef des Publicains, reconnaît ses fautes: «Si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple.» Il veut corriger tout son passé. En reconnaissant ses torts et en voulant les réparer, il est déjà sur le chemin de la sainteté. Il est effectivement devenu un saint. Par un désir sincère de son cœur, il a suivi la mouvance de Dieu et s’est élancé sur le chemin de la sainteté. Ce n’est pas compliqué, mais il faut se faire violence. Je veux vous rappeler aussi la parabole des dix vierges.13 Je la trouve tellement éloquente. Ponctuelles au rendez-vous, les dix vierges attendaient à l’extérieur de la salle des noces, tandis que l’époux était en retard, spécifie l’Évangile. Quand on a annoncé l’arrivée de l’époux, cinq des vierges n’avaient plus d’huile dans leur lampe. Celles-ci ont dit aux cinq autres: «Donnez-nous un peu de votre huile. Il nous en manque pour aller aux noces.» Elles ont refusé, disant: «Il n’y en aura pas assez pour nous et pour vous. Allez vous en acheter et revenez.» 13. Cf. S. Matth. 25, 1-13 Tandis que les cinq étaient parties chercher de l’huile, les cinq sages sont entrées avec l’époux dans la salle des noces, et les portes furent fermées, dit Jésus. Bien après, les autres vierges arrivèrent: «Seigneur, Seigneur, criaient-elles, ouvrez-nous!» Mais l’époux répondit: «En vérité, Je vous le déclare, Je ne vous connais point.» Quand vous lisez ce texte, il semble quasiment que l’époux est injuste, parce que c’est lui qui était en retard. Mais, par cette parabole, Jésus veut nous faire comprendre quelque chose de très important. C’est important d’entrer dans la salle des noces avec Lui. Ce n’est pas secondaire, ce n’est pas facultatif. Le but de nos vies est d’arriver avec Lui dans Son royaume. Je me plais à le répéter: le manque d’huile veut dire que ces vierges folles n’étaient pas prêtes à plus. Certains font leur petit programme: «Je vais faire cela, et pas plus. Cela suffit pour que je devienne un saint, pour assurer mon salut. Mon programme est fait, qu’on ne m’en demande pas plus. Je ne dépasse pas telle mesure.» Ça ne marche pas ainsi avec le bon Dieu. Ça ne marche tellement pas comme cela qu’on court le gros risque de se buter devant la porte du royaume de Dieu fermée. C’est l’Évangile: Il n’y avait pas d’huile dans leurs lampes. Elles n’étaient pas prêtes à aller plus loin que l’heure fixée. D’après cette parabole, ne pas être prêt à encore plus – c’està-dire à être prêt à tout pour réaliser ce que Dieu nous demande – c’est de la folie à Ses yeux, et la porte du Ciel se ferme. Regardez tout ce que le monde demande à ses adeptes. Nous sommes vraiment arrivés au comble de la folie humaine. Vous vous «Veillez donc! puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure.» (Conclusion de la parabole des Dix Vierges) Magnificat Vol. LIX, No 1 11

12 Vol. LIX, No 1 Magnificat dites peut-être: mais je suis un pauvre pécheur. Chers amis, un pauvre pécheur qui a cette disposition dans son cœur est un vrai sage: «Je suis disposé à faire tout ce que Vous voulez de moi, mon Dieu. Venez à mon secours, je ne suis qu’un petit enfant. Mon Dieu, à l’aide, au secours! Je Vous demande pardon de tout ce qui n’est pas parfait sous Votre divin regard, mais je veux ce que Vous voulez de moi.» Puis il s’applique et se fait violence. Mes chers amis, demandons à Dieu cette disposition du cœur, chacun selon son état, d’être prêts à tout pour Dieu, à n’importe quoi, sans limites. C’est cela la sagesse. Le bon Dieu n’aime pas ceux qui posent des limites. C’est ce que cette parabole nous enseigne. Je ne vous connais pas. Pourtant, les vierges folles aussi avaient été invitées. 4e Centenaire de la consécration du Canada à saint Joseph Nous déclarons 2024 une année sainte, pour souligner les 800 ans des stigmates de saint François et les 400 ans de la consécration du Canada à saint Joseph. Nous en faisons une année sainte, non par des formules, mais par ce désir, par cette application, par cette violence gracieuse – ça peut sembler contradictoire – afin de réaliser l’attente de Dieu dans chacune de nos vies. Que chacun le fasse sous l’œil de Dieu, sans regarder ses voisins. Les supérieurs doivent être attentifs à vous encourager: «Mon frère, ne vous êtes-vous pas un peu négligé? Ne vous êtes-vous pas éloigné de votre idéal de perfection?» Cependant, que le frère ne regarde pas son frère, que la sœur ne regarde pas sa sœur. Il faut que chacun de vous regardiez l’attente de Dieu sur vous-même. Faites-le gracieusement. C’est la grâce que je vous souhaite. Nous allons offrir le saint Sacrifice de la Messe en demandant à Dieu d’augmenter votre désir, ce désir véhément. Qu’Il mette en vous un désir souffrant de vous conformer à Lui. Jésus va vous consoler. Vous allez expérimenter la douceur de Son joug. C’est la grâce que je vous souhaite. C’est l’intention que j’aurai au cours de cette première messe de l’année, pour vous, mes frères, mes sœurs, pour toutes les âmes de bonne volonté. Je demande à Dieu de mettre dans vos cœurs cette faim et cette soif d’être conformes à Lui, et de prendre les moyens qui font mal à notre nature. Je vous souhaite cette faim, cette soif. Vous serez rassasiés. La parole de Jésus est infaillible. Rappelez-vous bien que la Messe, c’est le Sacrifice du Calvaire. Il n’y a rien qui s’est passé de plus violent sur cette terre. Le Sacrifice du Calvaire va se renouveler maintenant pour la première fois de cette année sur cet autel. Soyons-y attentifs. Nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons par la Messe. Je l’offre pour vous tous. Bonne fête à notre Mère du Ciel aussi, parce qu’Elle est la Fille du Père Éternel et l’Épouse de saint Joseph. Vierge Marie Immaculée, Mère de Dieu et notre Mère, soutenez-nous! p Cette année, il y a un autre centenaire que je veux mentionner. Le Canada a été consacré à saint Joseph il y a 400 ans. En 1624, le Père Le Caron, franciscain, a consacré le Canada à saint Joseph en présence de quelques confrères en religion, du gouverneur de la Nouvelle-France, Samuel de Champlain, de quelques Français et Autochtones. Cela s’est passé au bord de la rivière Saint-Charles, à Québec, au début de la colonie.

Saint Paul disait aux Éphésiens: Renouvelez-vous dans l’esprit de votre intelligence; revêtez l’homme nouveau créé selon Dieu. (Éphésiens 4, 23-24) Cette œuvre de notre sanctification, ce renouvellement intérieur de notre esprit ne se fait pas sans efforts. Comme le dit Notre-Seigneur: Le royaume des cieux souffre violence et il n’y a que les violents qui l’emportent. (S. Matth. 11, 12) Regardons tout ce que les Saints ont fait pour Dieu. Les innombrables Saints canonisés par l’Église ont eu des vies, des vocations et des inspirations bien diverses, mais chez tous, sans exception, l’on retrouve un point commun: c’est l’application, la soif de contredire la nature par la mortification sous toutes ses formes. Non contents d’accepter les souffrances inhérentes à la vie, comme la maladie, les intempéries, les privations nécessaires, les Saints s’imposaient volontairement des peines par le jeûne, les veilles, le port de cilices, la pauvreté du logis et des vêtements, la solitude et par tout ce qui contrarie les goûts naturels. Aujourd’hui, beaucoup se moquent de ces gestes... Cependant ces Saints étaient guidés par une sagesse toute surnaturelle, puisée dans la méditation de la vie de NotreSeigneur et de Ses enseignements. Ils sont nos grands frères, ils nous ont battu la marche et nous ne pouvons pas nous tromper en les suivant. Si Dieu ne demande pas de nous les macérations qu’ont pratiquées ces Saints, Il pose cependant la mortification des goûts comme condition essentielle de vie chrétienne et évidemment de toute sainteté. Qu’elle est étroite la porte, et resserrée la voie qui conduit à la vie! Et qu’ils sont rares ceux qui la trouvent. (S. Matth. 7, 14) Accomplir son devoir d’état parfaitement, accomplir tous les travaux qui nous sont imposés, c’est une bonne pénitence, c’est la meilleure des pénitences. Si nous la faisons, cette pénitence, s’il y a l’absence du péché dans notre vie, si nous évitons tout ce qui déplaît à Dieu et que nous faisons tout ce qui Lui plaît, nous sommes certainement dans le chemin de la sainteté. * * * * * * * Ô Jésus, soyez notre force! Que dans la contemplation et le souvenir de Votre sainte Passion, nous puisions la force d’accomplir ce que Vous attendez de nous. Vous nous avez dit dans l’Évangile: Le royaume des cieux souffre violence et il n’y a que les violents qui l’emportent. Donnez-nous le courage de nous faire violence, car la vie de l’homme est un combat sur la terre. Nous somme déchus, enclins au mal. Sans Votre grâce, accompagnée de notre bonne volonté, il nous est impossible de faire le bien. Je puis tout en Celui qui me fortifie, disait saint Paul (Philippiens 4, 13). La force des chrétiens, la force des martyrs, c’est JÉSUS. Les tourments les plus épouvantables des martyrs ne peuvent être comparés à ceux de Jésus. Il a souffert dans Sa Passion plus qu’aucun Saint; Il a goûté l’amertume de la souffrance autant qu’il était possible de le faire; Il a bu le calice jusqu’à la lie. Il a fait tout cela pour nous montrer le chemin et nous mériter le courage dont nous avons besoin pour Le suivre. Père Jean-Grégoire de la Trinité Pour devenir des Saints...

14 Vol. LIX, No 1 Magnificat HERS lecteurs, que connaissez-vous du Nom de Jésus? Vous savez que ce Nom est saint et qu’en le prononçant vous devez incliner la tête avec respect. Cela est très peu. C’est comme si vous lanciez un regard sur la couverture d’un livre fermé: vous voyez le titre, mais les magnifiques pensées renfermées à l’intérieur du livre vous demeurent inconnues. Ainsi en est-il lorsque vous prononcez le Nom de Jésus: vous ignorez à peu près tous les trésors qu’il contient. Ce Nom divin est en vérité une mine de richesses; il est la source de la plus haute sainteté et le secret du plus grand bonheur dont l’homme puisse espérer jouir ici-bas. Il est si puissant, si assuré, qu’il ne manque jamais de produire de merveilleux effets dans notre âme. Il console le cœur le plus affligé et rend fort le pécheur le plus faible. Il nous obtient toutes sortes de faveurs et de grâces, spirituelles et temporelles. Lisez et voyez.

Magnificat Vol. LIX, No 1 15 Par le Père Paul O’Sullivan, O.P. Qu’est-ce que leNom de Jésus? Tout d’abord, le saint Nom de Jésus est une prière toute-puissante. Notre-Seigneur Lui-même a solennellement promis que tout ce que nous demanderons au Père en Son Nom, nous le recevrons1. Dieu ne manque jamais à Ses promesses. C’est pour cette raison que la sainte Église termine ses prières par ces mots qui leur donnent une nouvelle et divine efficacité: Par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Lorsque nous prononçons le Nom de Jésus, demandons donc à Dieu tout ce dont nous avons besoin, avec la certitude absolue d’être exaucés. Mais le saint Nom de Jésus est quelque chose de plus grand encore. Chaque fois que nous invoquons JÉSUS, nous comblons Dieu d’une joie et d’une gloire infinies, parce que nous Lui offrons, en ce Nom, les mérites infinis de la Passion et de la mort de Jésus-Christ. Saint Paul précise que c’est par Sa Passion et Sa mort que Notre-Seigneur mérita le nom de Jésus.2 1. Cf. S. Jean 14, 13. 2. Cf. S. Paul, Philippiens 2, 8-9: Il S’est humilié Lui-même, Se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu L’a exalté, et Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tout nom. Chaque fois que nous invoquons JÉSUS, nous gagnons des indulgences applicables aux Âmes du Purgatoire. Nous soulageons et même libérons ainsi de leurs tourments un grand nombre de ces saintes Âmes. En retour, elles nous vouent une profonde amitié et intercèdent pour nous auprès de Dieu avec une ferveur incroyable. Chaque fois que nous invoquons JÉSUS, nous faisons un acte d’amour parfait, car nous offrons à Dieu l’amour infini de Son Fils. Le saint Nom de Jésus nous préserve de dangers innombrables. Il nous défend particulièrement contre les ruses du démon qui cherche constamment à nous nuire. Le saint Nom de Jésus emplit peu à peu notre âme de paix et de joie. Il nous anime d’une force telle que nos souffrances en sont allégées et deviennent faciles à porter. Les Saints et leNom de Jésus Tous les Saints éprouvaient pour le saint Nom de Jésus un amour et une confiance sans bornes. Ils voyaient en ce Nom, comme en une claire vision, tout l’amour de Notre-Seigneur, toute Sa puissance, les choses merveilleuses qu’Il a dites et faites lorsqu’Il était sur la terre.

16 Vol. LIX, No 1 Magnificat C’est au nom de Jésus que les Saints ont accompli tant de prodiges. Ils opéraient des miracles, chassaient les démons, guérissaient les malades et recommandaient à tous ceux qu’ils réconfortaient d’invoquer souvent le saint Nom de Jésus. Saint Pierre et les autres Apôtres ont converti le monde par ce Nom tout-puissant. Le Prince des Apôtres accomplit son premier miracle public en entrant au Temple avec saint Jean. Un boiteux, bien connu des Juifs qui fréquentaient le Temple, lui tendit la main espérant recevoir une aumône. Saint Pierre lui dit: «Je n’ai ni or ni argent; mais ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche.» Et immédiatement, le boiteux se dressa sur ses pieds et bondit de joie. Voyant la stupéfaction des Juifs, le grand Apôtre leur dit: «Israélites, pourquoi vous émerveiller de ce qui est arrivé? Pourquoi fixer les yeux sur nous, comme si c’était par notre puissance ou notre sainteté que nous avons fait marcher cet homme?... C’est par la foi en Son Nom, oui, c’est la puissance de Son Nom qui a raffermi cet homme que vous voyez et que vous connaissez.»3 Depuis le temps des Apôtres, le Nom de Jésus a été glorifié d’innombrables fois. Nous rapportons quelques exemples qui illustreront 3. Actes des Apôtres 3, versets 6, 12 et 16. comment les Saints puisaient leur force et leur consolation dans le saint Nom de Jésus. Saint Paul fut tout spécialement le prédicateur et le docteur du saint Nom. D’abord persécuteur acharné de l’Église, animé d’un faux zèle et d’une haine profonde pour le Christ, une apparition de Notre-Seigneur le convertit sur le chemin de Damas; il devint le grand Apôtre des Gentils. Jésus lui confia la glorieuse mission de prêcher et faire connaître Son saint Nom à toutes les Nations. Saint Thomas d’Aquin nous dit à son sujet: «Saint Paul portait le Nom de Jésus sur son front, parce qu’il se glorifiait en le proclamant à tous les hommes; il le portait sur ses lèvres, parce qu’il aimait l’invoquer; sur ses mains, parce qu’il aimait l’écrire dans ses épîtres; dans son cœur, car son cœur brûlait d’amour pour Jésus. Il nous le dit lui-même: Et je vis, non ce n’est plus moi, mais c’est le Christ qui vit en moi.4» L’Apôtre, dans son langage admirable, nous apprend deux importantes vérités sur le Nom de Jésus. Tout d’abord, il nous parle de la puissance infinie de ce Nom. «Au Nom de Jésus tout genou fléchit dans le Ciel, sur la terre et dans les enfers.»5 Chaque fois que nous disons JÉSUS, nous donnons une joie infinie à Dieu, à Sa sainte Mère, aux Anges, aux Saints et à tous les habitants du Ciel. Deuxièmement, il nous apprend quand et comment invoquer ce saint Nom. «Quelque chose que vous fassiez, en parole, ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par Lui à Dieu le Père.»6 4. S. Paul, Galates 2, 20. 5. S. Paul, Philippiens 2, 10. 6. S. Paul, Colossiens 3, 17. Je n’ai ni or ni argent; mais ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche.

Magnificat Vol. LIX, No 1 17 Tous les Saints ont suivi ce conseil. Chacune de leurs actions était faite pour l’amour de Jésus. En retour, Dieu les comblait de grâces et de mérites. C’est par le Nom de Jésus que les Saints sont devenus saints. Si nous suivons le conseil de l’Apôtre, nous atteindrons à notre tour un haut degré de sainteté. Comment pouvons-nous tout faire au Nom de Jésus? En prenant l’habitude de répéter fréquemment le Nom de Jésus dans le courant de la journée. Cela ne présente aucune difficulté; cela n’exige que de la bonne volonté. Nous pouvons le faire en nous habillant, en travaillant, en marchant, dans les moments de tristesse, chez nous ou dans la rue, partout. Saint Augustin (1), cet éminent Docteur de l’Église, trouvait ses délices à répéter le saint Nom de Jésus. Il avoua ressentir un plaisir particulier à lire les livres mentionnant souvent ce Nom divin. Saint Bernard (2) ressentait lui aussi un bonheur et une consolation ineffables à prononcer souvent le Nom de Jésus. Ce Nom était pour lui, ainsi qu’il le dit dans son hymne admirable7, comme du miel dans la bouche et un baume de paix sur le cœur. Saint Bonaventure rapporte de son bienheureux Père saint François (3), que son visage s’illuminait de joie et que sa voix prenait des accents d’une tendresse indicible lorsqu’il invoquait le Nom très saint de JÉSUS. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait reçu aux pieds, aux mains et au côté les cinq plaies de Notre-Seigneur, en récompense de son amour brûlant. 7. Saint Ignace de Loyola (4) ne le cédait à personne en amour du saint Nom. Lorsqu’il fonda son Ordre, il ne lui donna pas son propre nom, mais celui de JÉSUS. Ce Nom béni a été pour ainsi dire le bouclier et la défense de l’Ordre contre ses ennemis, et un gage de sainteté pour ses membres. Nombreux, en effet, sont les Saints issus de cette illustre Compagnie de Jésus. Saint François de Sales (5) affirmait que ceux qui ont l’habitude de répéter fréquemment le saint Nom peuvent avoir la certitude de mourir d’une mort sainte et heureuse. En effet, chaque fois que nous disons JÉSUS, nous appliquons à notre âme les mérites du Sang rédempteur du Christ, en même temps que nous implorons Dieu de faire ce qu’Il a promis: nous accorder tout ce que nous demandons en Son Nom. Non seulement cette pratique nous assurera-t-elle une sainte mort, mais elle raccourcira notablement notre temps au Purgatoire. Peut-être même nous délivrera-t-elle tout à fait de ce terrible feu. De nombreux Saints ont passé leurs derniers jours à répéter sans cesse: «Jésus, Jésus». Les Docteurs de l’Église s’accordent pour dire que le diable réserve ses plus terribles tentations à nos derniers moments. Il remplit l’esprit du mourant de doutes et de terreurs, dans l’ultime espoir d’emporter en enfer cette âme infortunée. Heureux alors ceux qui ont, au cours de leur vie, acquis l’habitude d’invoquer le Nom de Jésus! Durant ses continuelles missions, saint Léonard de Port-Maurice (6) enseignait au peuple les merveilles du saint Nom de Jésus. Son cœur était tellement embrasé d’amour pour ce Nom divin, qu’il ne pouvait en 7. Jesu dulcis memoria, attribué par plusieurs à saint Bernard de Clairvaux. Voir p. 23. 2 1 3 4 5 6

18 Vol. LIX, No 1 Magnificat parler sans verser d’abondantes larmes et sans en arracher des yeux de tous ceux qui l’écoutaient. Le Saint recommandait fortement aux fidèles de placer des cartes avec le Nom de JÉSUS sur les portes de leurs habitations. Cette simple pratique obtenait les résultats les plus heureux, car beaucoup furent ainsi sauvés de la maladie et de désastres de toutes sortes. Il arriva qu’un des auditeurs ne put suivre le conseil du Saint: le copropriétaire de l’immeuble où il habitait était Juif et refusait obstinément de voir le nom de Jésus inscrit sur sa porte. L’homme eut alors l’inspiration d’écrire le saint Nom sur ses fenêtres. Quelques jours plus tard, un violent incendie se déclara dans l’immeuble. Le feu détruisit tous les appartements du Juif… tandis que les chambres appartenant à son voisin chrétien furent entièrement épargnées! Saint Edmond (1), roi anglais martyr, honorait le saint Nom d’une dévotion particulière que le Seigneur Lui-même lui avait enseignée. Un jour, tandis qu’il était seul à la campagne, un très bel Enfant S’approcha et lui demanda: «Edmond, est-ce que tu Me connais?» Le Saint répondit que non. «Regarde-Moi, répliqua l’Enfant, et tu verras qui Je suis.» Edmond regarda comme demandé. Alors sur le front de l’Enfant, il vit ces mots: Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. «Apprends qui Je suis, reprit l’Enfant. Tous les soirs, fais le Signe de la Croix et dis ces paroles: Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Si tu fais cela, cette prière te délivrera, ainsi que tous ceux qui la diront, d’une mort soudaine et sans préparation.» Edmond accomplit fidèlement ce que le Seigneur lui avait prescrit. Une fois, le diable tenta de l’en empêcher en retenant sa main pour qu’il ne puisse pas faire le Signe de la Croix. Edmond invoqua le Nom de Jésus et le diable s’enfuit terrorisé, se gardant bien de l’importuner à l’avenir. Sainte Françoise Romaine (2) jouissait du privilège extraordinaire de voir son Ange gardien et de converser avec lui. Lorsqu’elle prononçait le Nom de Jésus, l’Ange irradiait de joie et s’inclinait avec amour et adoration. Le diable osa quelquefois lui apparaître, cherchant à l’effrayer et à lui faire du mal. Mais lorsqu’elle prononçait le saint Nom, il fuyait honteusement sa présence, plein de rage et de haine. Sainte Jeanne Françoise de Chantal (3) aimait tant le Nom de Jésus qu’elle le grava avec un fer rouge sur sa poitrine. Le bienheureux Henri Suso (4) avait fait la même chose avec une pointe acérée. Nous ne pouvons pas tous aspirer à ces saintes audaces; il faut pour cela une inspiration spéciale de Dieu. Mais nous pouvons suivre l’exemple d’une autre Sainte, la bienheureuse Catherine de Racconigi (5), religieuse dominicaine, qui répétait très souvent et avec amour le Nom de Jésus, si bien qu’après sa mort, l’on trouva ce divin Nom inscrit en lettres d’or sur son cœur. Sainte Gemma Galgani (6) connut elle aussi le privilège de conversations fréquentes et intimes avec son Ange gardien. Parfois, Gemma et son Ange se livraient à une sainte compétition pour savoir lequel des deux prononcerait le Nom de Jésus avec le plus d’amour. 2 1 3 4 5 6

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