Magnificat Janvier 2023

Toute reproduction complète d’un article publié dans cette revue est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction de la revue MAGNIFICAT. ©Tous droits réservés Publication mensuelle des Apôtres de l’Amour Infini – L’abonnement au Magnificat est au tarif minimum annuel de 15,00 $ au Canada, 25,00 $ aux États-Unis, et 30 Euros (35,00 USD) pour les autres pays. Le montant de l’aumône en vue de nous aider à couvrir les frais d’imprimerie est laissé à la discrétion de chacun. Disponible aussi en format numérique, 10,00$. Cette revue est publiée dix fois par an. SOMMAIRE VOL. LVIII, No 1 Janvier 2023 Mot d’ordre 2023: La Patience – Souhait: Gracieusement, par Père Mathurin de la Mère de Dieu, O.D.M. . . . . . . . . . Page 3 – La patience chrétienne – Source de la souffrance – S’identifier au Christ – Le divin remède – Le Don royal de l’Amour infini – Mysterium fidei – Gracieusement – Le chant de reconnaissance La Patience, par le R.P. Adolphe Tanquerey, P.S.S. . . . . . 12 Histoire du saint homme Tobie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 – Un fidèle serviteur de Dieu – Une grande épreuve – Dernières recommandations – Voyage de Tobie le jeune – Retour du fils, guérison du père – «Vous étiez agréable à Dieu…» Deux grands Patrons de l’Ordre de la Mère de Dieu: Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897) et saint LouisMarie Grignion de Montfort (1673-1716) . . . . . . . . . . . . . . 21 L’Enfant-Jésus de Prague dans la Sainte Hostie . . . 25 – 125e anniversaire du Miracle Eucharistique survenu à Syracuse, New York MONASTÈRE DU MAGNIFICAT DE LA MÈRE DE DIEU 290 7e Rang – CP 4478 – Mont-Tremblant – QC J8E 1A1 TÉL. 819 688-5225 magnificat.ca L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, demandé par la très Sainte Vierge Elle-même à La Salette (France) a été fondé au Canada en 1962. L’Ordre comprend des prêtres, des religieux et religieuses dont certains viennent de différentes Congrégations dans le but de conserver leur identité et leur fin respective, mais tous suivant une Règle commune: celle qui fut dictée par la Mère de Dieu à La Salette (1846) et fut approuvée par Léon XIII en 1879. L’Ordre compte aussi des disciples, c’est-à-dire des membres laïcs, célibataires ou mariés, vivant en communauté de biens avec les religieux et partageant leurs travaux. Il comprend aussi des tertiaires, membres laïcs vivant dans le monde, mais plus impliqués dans les activités de l’Ordre que les simples fidèles. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu existe et opère sous sa propre Hiérarchie. Il est de foi, de doctrine, de tradition et de pratiques chrétiennes catholiques. Bien que voulant fermement revenir à la simplicité évangélique des premiers temps de la chrétienté, l’Ordre veut garder intacts les enseignements doctrinaux dispensés avec continuité, de siècle en siècle, par les Saints et par les Docteurs de l’Église catholique romaine. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, aussi connu sous le nom Les Apôtres de l’Amour Infini, est reconnu civilement au Canada par une charte fédérale ainsi qu’une charte provinciale (Québec). Il possède aussi des chartes aux États-Unis, en France, en Guadeloupe, à Porto Rico, au Guatemala, en République Dominicaine et en Équateur. L’Ordre est aussi établi en Italie, en Afrique du Sud et en Argentine. Outre l’adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, la prière, l’étude et les travaux de toutes sortes, la Communauté se prête à toutes les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle. Cependant, la fin particulière de l’Ordre est la conservation du Dépôt de la Foi par l’enseignement religieux sous toutes ses formes, aux adultes et aux enfants. Un autre but spécifique est la lutte contre tous les abus qui ont amené la décadence du clergé, de l’état religieux et de la société chrétienne. L’Œuvre travaille aussi en vue de l’unité chrétienne tant désirée par Jésus-Christ, unité dans la vérité.  NOTRE COUVERTURE: LA SAINTE FAMILLE Que j’aime ce beau spectacle: un Dieu revêtu des grâces du jeune âge, un Dieu devenu l’enfant d’une pauvre famille, la joie d’un humble foyer. Je Le vois entre Joseph et Marie, doux, simple, affectueux, prévenant leurs désirs, et tout heureux de faire leur bonheur. Oh! qui dira la paix, l’amour, la céleste félicité que l’Enfant-Dieu répandait autour de Lui? On a tout dit d’un enfant en l’appelant un ange, mais le Fils de Marie était plus qu’un ange, c’était la grâce et la bonté divines, souriant sous les traits de l’humanité. Famille sainte et vénérable, Jésus, Marie et Joseph, petite Trinité sur la terre, nous nous adressons à Vous avec amour et une tendre confiance. Faites-nous ressentir les effets de Votre assistance salutaire. Bénissez nos familles, faites fleurir dans nos foyers la paix et l’union des cœurs. Ainsi soit-il. R.P. Huguet, S.M. Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023 Envoi de Poste-publications ISSN 0025-0007 2301-101-3053 Imprimé au Canada

Magnificat Vol. LVIII, No 1 3 U nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et de la Mère de Dieu. Ainsi soit-il. À l’aurore de cette Nouvelle Année, en ce premier jour de l’An consacré à notre Père des Cieux, en notre nom, en votre nom, mes frères et sœurs, nous voulons souhaiter nos meilleurs vœux à notre Père des Cieux. Nous avons été choisis pour être la louange de Sa gloire1, dit saint Paul. Avec toute l’intensité et la ferveur de notre cœur, nous disons d’emblée au Père Éternel que nous voulons être pour Lui louange de gloire, et que nous voulons utiliser à Sa gloire tout ce qu’Il a créé en nous: notre cœur, notre âme, notre volonté, notre mémoire, toutes nos facultés, tout notre être. — LA PATIENCE CHRÉTIENNE 1Voici le mot d’ordre pour cette année: LA PATIENCE. Le Père Adolphe Tanquerey nous en donne la définition dans son Précis de Théologie: La patience est une vertu chrétienne qui nous fait supporter avec égalité d’âme, par amour pour Dieu et en union avec Jésus-Christ, les souffrances physiques ou morales.2 Je vous souhaite cette vertu chrétienne de la patience. Cependant, il existe aussi une patience mondaine qui se compose, par une certaine retenue, afin de produire 1. Cf. Éphésiens 1, 6 et 12 2. Précis de Théologie Ascétique et Mystique, p. 683, No 1088 et suiv. Voir page 12. une image pour impressionner l’entourage, pour arriver à des fins humaines, terrestres. Il ne s’agit pas de celle-là. La première intention de cette vertu de patience que nous vous invitons à pratiquer cette année, c’est d’abord pour glorifier Dieu. Mais Le glorifier d’une manière très particulière: en développant cette conviction dans le cœur que si Dieu envoie à souffrir, c’est parce qu’Il a une intention, un projet pour Son enfant. C’est par un dessein de Son amour que la souffrance, sous toutes ses formes, nous visite. La pratique de la vertu de patience est aussi pour réparer le péché et entrer par amour pour Dieu et en union avec Jésus-Christ Mo t d’’Ordre pour 2023: Souha i t : PèreMathurin de laMère de Dieu

4 Vol. LVIII, No 1 Magnificat dans le dessein de Dieu à travers les souffrances et les tribulations qu’Il nous envoie. Beaucoup d’auteurs mettent ce motif de réparation en premier; mais j’ai voulu commencer par un motif plus positif, qui est de glorifier Dieu. — SOURCE DE LA SOUFFRANCE Ce n’est pas Dieu qui a fait la souffrance. La souffrance est le fruit du péché. L’homme était fait pour Dieu, pour la joie de l’union avec Lui. Et depuis que l’homme, par son péché, a brisé ce projet divin, il souffre, il est désorienté, il cherche. L’intelligence de l’homme est obscurcie, il ne voit plus clair. Toutes ses facultés sont dans les ténèbres – toutes! – à cause du péché. Mais par quel tour de passe-passe, dirions-nous, l’Amour infini a réussi à faire de la souffrance, qui est venue de notre mal, le remède à notre mal? L’homme pèche, amenant la souffrance, et l’Amour infini en fait le remède du péché. Il fallait un Dieu pour penser à cela! Je crois que c’est une des plus belles manifestations de Son Amour infini. Notre mal amène la souffrance, nous sommes des condamnés. Et Dieu, pour manifester Son Amour infini, élève la souffrance engendrée par le péché de l’homme à une dignité sublime, on dirait presque infinie. — S’IDENTIFIER AU CHRIST Cette vertu de patience dans l’adversité, nous la méditons singulièrement durant la saison de Noël. Elle est manifestée d’abord par Marie et Joseph: durant les cinq jours de marche de Nazareth à Bethléem, les rejets à Bethléem. Contemplez le détail de leurs gestes tout imprégnés de patience. Quand Jésus arrive, quelle douceur, quelle patience! Et déjà, le monde va s’acharner sur le petit Enfant. La Sainte Famille doit partir en catastrophe pour fuir en Égypte. Contemplez comment ils ont agi dans leur cheminement, quittant la grotte de Bethléem, en pleine nuit, sans préparatifs, pour entreprendre une longue route à travers le désert dans toutes sortes de conditions difficiles. Ils se réfugient en Égypte, un pays étranger. Il faut contempler leur patience afin de l’imiter, et entrer ainsi dans ces dispositions de Jésus, de Marie, de Joseph. Depuis la venue de Jésus, il semble que la souffrance est ce qui a la capacité de nous identifier le plus au Christ, Verbe de Dieu incarné. Allez n’importe où dans le monde, chez n’importe quelle dénomination: catholique – il va sans dire – mais aussi protestante, juive, musulmane, bouddhiste, hindoue, païenne, faites le tour de la planète et montrez une croix, juste une croix formée de deux petits bouts de bois ou de deux traits de crayon. Tous vont reconnaître le signe de Jésus, avant de dire le mot croix. La croix est synonyme de Jésus, tellement Il Se l’est appropriée. Sincèrement, profondément, je crois que l’exemple de Jésus est ce qui peut nous motiver le plus à la patience dans les adversités et les épreuves de la vie; et il y en a! Je ne pense pas qu’il y ait de mot avec plus de synonymes que souffrance: croix, adversités, tribulations, épreuves, maux, douleurs, infirmités, maladies... Dans chacun de ces synonymes, Dieu attend de Son enfant qu’il le reçoive avec patience, comme un don. LA FUITE EN ÉGYPTE Dans les circonstances les plus pénibles, la Sainte Famille nous donne l’exemple de la vraie patience chrétienne.

Magnificat Vol. LVIII, No 1 5 Il faut être bien attentif à la manière avec laquelle on reçoit la souffrance. J’en profite pour rectifier un propos souvent répété: la croix, la souffrance, c’est le salut. C’est vrai, mais en même temps c’est inexact. Il y eut trois croix sur le Calvaire. Celle de notre Jésus, le Christ, le Rédempteur. Il est venu pour faire notre salut par la croix divinisée, justement par ce tour de passe-passe de Son Amour infini. Il y a celle du bon larron qui maugrée, murmure, est révolté, comme le rapporte l’Évangile. Mais en contemplant Jésus crucifié à côté de lui, il est converti, il est transformé, et la souffrance devient pour lui rédemptrice, salvatrice. Par contre, le mauvais larron qui subit les mêmes souffrances, le même supplice de la croix, devient un réprouvé, parce qu’il a maugréé et murmuré jusqu’à la fin. Il a blasphémé, il a maudit ses souffrances. C’est un grand mystère que Jésus nous a révélé, et qui a aussi été dévoilé en partie dès l’Ancien Testament. Rappelons-nous l’histoire du saint homme Tobie – vraiment un saint de l’Ancien Testament – qui multipliait les bonnes œuvres, dans le secret, dans la plus grande discrétion sous l’œil de Dieu seul, pour Le glorifier. L’humanité était encore à des siècles avant la venue de Jésus-Christ. Pendant que Tobie prenait une sieste en dessous d’un arbre, un peu de fiente d’oiseau tombe sur ses yeux et il devient aveugle pour des années. Plus tard, grâce à un remède indiqué par l’Archange Raphaël, qui avait accompagné son fils dans un pays lointain, au retour de leur périple Tobie est guéri de sa cécité. Puis l’Ange l’instruit sur le pourquoi de cette épreuve: «Je vais maintenant vous manifester une vérité, vous découvrir une chose cachée. Parce que vous étiez agréable à Dieu, il fallait que vous soyez éprouvé.»3 À l’énoncé de cette grande vérité que l’Ange nous manifeste de la part de Dieu, il faut faire silence, et endosser cette vérité, y adhérer. Parce que vous étiez agréable à Dieu, il fallait que vous soyez éprouvé… On pourrait rétorquer que tout 3. Cf. La Sainte Bible, Tobie 12, 6-13. Ce récit est publié à la page 14. le monde est éprouvé sur la terre! Puis rajouter que vraisemblablement la plupart ne sont pas agréables à Dieu. Alors, je vous répondrais que la miséricorde de Dieu est actuellement encore plus grande qu’envers Tobie. Certes nous ne sommes pas agréables à Dieu, mais Il nous envoie l’épreuve afin de nous rendre agréables à Lui. C’est le but de la souffrance. — LE DIVIN REMÈDE Nous sommes tous des pécheurs. L’humanité est pécheresse comme jamais. Dieu veut rendre l’humanité agréable à Son regard, cette humanité qui L’outrage, ces chrétiens qui Le bafouent, qui méprisent Son attente, de toutes les façons et sans vergogne. Malgré cela, Dieu a décidé qu’Il rendrait l’humanité agréable à Son divin regard. C’est pourquoi nous vous invitons à cette patience chrétienne, pour que nous autres, pécheurs, nous devenions agréables à Dieu, ainsi que tous nos frères de la terre. Il n’y a pas tellement longtemps, à propos de l’inquiétude que nous pourrions avoir dans ces temps troublés, je posais la question: le bon Dieu va-t-Il fermer les livres? Fermer les livres veut dire qu’on ferme la compagnie, que c’est fini. Est-ce que ça sera la fin de l’histoire de l’humanité? Pour employer nos mots humains, le bon Dieu n’est-Il pas découragé, tanné4, 4. Expression québécoise qui signifie: à bout de patience. Pour le don de la croix, MERCI, ô Maître!

6 Vol. LVIII, No 1 Magnificat lassé des hommes? N’en a-t-Il pas ras-le-bol du mal universel qui n’a plus de bornes? N’en a-t-Il pas assez de Se faire bafouer de la sorte par les humains, Ses créatures? Heureusement, les souffrances que nous avons connues ces dernières années m’ont redonné espoir. On pourrait dire qu’il restait à Dieu deux options: la première était de fermer les livres de l’histoire des hommes, mais il semble qu’Il n’a pas retenu cette option. Le bon Dieu a choisi plutôt d’employer les souffrances, souffrances qui viennent des hommes, de leurs péchés. Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas Dieu qui a inventé le mal. C’est vraiment important que nous le comprenions bien: le mal vient des péchés des hommes. Le mal amène cette désolation de plus en plus répandue, et qui devient universelle. C’est cette même désolation qui sera le remède à tous les maux si – de là la raison du mot d’ordre – SI, mes frères et mes sœurs, en patience, sans murmurer, sans maugréer, sans tout analyser, si, comme des pécheurs, comme des coupables, nous acceptons les maux en patience, en patience. Quelle profonde et sublime invention de l’Amour infini: Dieu fait de la souffrance le remède au mal. Le Prophète dit: Lui-même – Jésus, le Messie – a été considéré comme un homme frappé de Dieu, humilié5. Jésus, l’Innocence même, a été considéré comme le plus vil des pécheurs, non pas frappé par la main des hommes, mais frappé de Dieu même. C’est ainsi que notre Rédempteur S’est fait notre remède. Il S’est chargé de nos péchés. Il les a expiés par toutes Ses souffrances et par Sa douloureuse Passion. Jésus est le plus grand, le plus bel exemple que nous puissions avoir de cette vertu de patience, vertu chrétienne, c’est-à-dire christique, comme le Christ. 5. Isaïe 53, 4 Notre Sauveur a pratiqué la patience dans toutes les circonstances de Sa vie, de la crèche au Calvaire. Il reste d’abord caché durant trente ans dans une vie de travail et de patience. Ensuite, dans Sa vie publique, Il est souvent mal reçu, en butte à tant de pièges qui Lui sont tendus, supportant toutes sortes de propos qui Le bafouent, Le ridiculisent. Quelle patience! Patience devant Ses ennemis, patience avec Ses amis. Ses Apôtres, Ses amis, ne comprennent pas vite. L’homme ne comprend pas vite les choses de Dieu. Patience partout, et d’une manière sublime durant Sa Passion. C’est comme si quelque chose dans la patience charmait tellement Jésus, qu’Il a voulu venir sur la terre pour nous montrer à la pratiquer. — LE DON ROYAL DE L’AMOUR INFINI Mes frères, mes sœurs, il nous faut croire que l’épreuve, les tribulations, les maux, les douleurs, c’est le don royal de l’Amour infini. Le croire et y adhérer, c’est la perfection. La perfection du chrétien est de croire vraiment de toute notre âme que la souffrance est un don royal de l’Amour infini, donc de Dieu même. Quels que soient la souffrance, la tribulation, l’infirmité, la maladie, la contradiction, le contretemps – et je ne les ai pas encore tous nommés – il faut faire taire notre petite raison et entrer dans le dessein de Dieu par des vues de foi. De la crèche au Calvaire, Jésus a souffert patiemment. Suivons notre divin Modèle!

Magnificat Vol. LVIII, No 1 7 Le péché nous a éloignés de Dieu, il nous a rivés à la terre et nous a mis sur un chemin contraire à Dieu. J’insiste sur ce point, pour que l’on s’en rappelle bien: par nos péchés, nous avons produit tous les maux, les tribulations, et Dieu a décidé que ces mêmes souffrances produites par nos péchés seraient le remède de nos péchés. Le remède divin est là, mais il faut s’en rappeler et le croire quand arrivent les occasions. La souffrance remet toutes les choses en ordre, à leur place. Quel mystère! Non seulement la souffrance purifie nos âmes, mais Dieu en a fait la condition pour réaliser Ses plus grands desseins. Et la preuve ultime de cette assertion, c’est la croix. N’oublions pas, dans nos souffrances, de nous unir à l’intention de Dieu. Acceptons comme étant Sa volonté, pour la purification de nos âmes, pour Le glorifier, pour entrer dans Son dessein. On se rappelle de l’anecdote de sainte Thérèse d’Avila qui cheminait de nuit pour établir ses monastères de carmélites. Elle rencontrait beaucoup d’opposition, non seulement des mondains, mais même de la part du clergé, malgré qu’on était dans une époque de ferveur dans l’Église. Une nuit d’hiver, un pont qu’elle traversait avec ses sœurs cède sous le poids de la charrette bâchée et tirée par les chevaux. Voilà que la charrette et les bonnes sœurs tombent dans la rivière. De peine et de misère, elles réussissent à se sortir de l’eau glacée. Jésus, souriant, attend Thérèse d’Avila sur la berge, et lui dit: «Ainsi Je traite Mes amis.» Alors Thérèse d’Avila de répondre, à la blague, avec candeur et simplicité: «Je comprends que Vous en ayez si peu!» Nous nous plaisons à répéter ces paroles en souriant devant toutes sortes de situations malencontreuses. Mais c’est vraiment la vérité. Il faut croire que la souffrance et les contretemps sont le chemin des amis de Dieu. — MYSTERIUM FIDEI Dieu envoie des souffrances à ceux qu’Il aime. Cette grande vérité fait partie des mystères de l’amour de Dieu. Ici-bas l’amour que nous avons pour Dieu n’est pas une émotion, quelque chose de senti. C’est une erreur courante chez les chrétiens de vouloir sentir l’amour de Dieu, ressentir une espèce de chaleur, une palpitation, une émotion, de belles larmes; ça fait du bien. Ce n’est pas mauvais, mais même en religion, cela reste une émotion naturelle. Par des vues de foi, il faut croire à l’amour de Dieu dans l’épreuve, dans la souffrance. Cette année, mes frères et mes sœurs, je vous invite à cette foi pratique de croire vraiment qu’à travers les maux qui nous visitent déjà et ceux qui vont arriver par la suite, c’est l’amour de Dieu qui veut se manifester à nous et à l’humanité. Je vous rappelle la formule latine que le prêtre dit lors de la Consécration à la Messe: Mysterium fidei. On emploie ces mots pour la sainte Eucharistie, mystère de foi. Vous pouvez appliquer la même formule dans la souffrance, les contrariétés, les infirmités et les maladies. Faites la liste très longue des épreuves que vous expérimentez maintenant et toutes celles qui se pointent à l’horizon. Vous les voyez venir. Ce qu’on a vécu, c’était le premier chapitre. Ce qui s’en vient sera un peu plus sévère, un peu plus douloureux. Mysterium fidei. Croyez que c’est la manifestation de l’amour de Dieu, qui a décidé de nous sauver. Il Lui faut une petite poignée d’âmes motivées par cette foi. Serons-nous du nombre de ces âmes? Oui, mes frères, mes sœurs, oui nous le serons. Je veux bien répondre en votre nom parce que je crois vraiment que votre cœur dit oui. L’Eucharistie est un mystère de foi. Estce que la vérité, la réalité de la présence de Jésus dans l’Hostie réside dans le fait que vous sentez qu’Il est là, que vous avez une émotion qui vous révèle que, ah oui! Jésus est là? Non, nous croyons en Sa présence parce qu’Il nous l’a révélé et que nous avons foi en Sa parole. Ainsi en est-il

8 Vol. LVIII, No 1 Magnificat de cet autre mystère que nous vous commentons aujourd’hui. La souffrance est un mystère de foi, qu’il vous faut accepter tout comme le mystère de la Présence réelle. Et vous l’acceptez, non pas parce que vous avez une douce émotion et que vous ressentez que «oui, c’est vrai, la souffrance m’est profitable». Si vous ressentez de douces émotions, c’est que vous êtes à la sortie de la tribulation. Quand vous êtes dedans votre épreuve, il n’y a pas de douce émotion, mais seulement du mal, de la douleur, de l’incompréhension. Moins vous comprenez, plus c’est douloureux. C’est le mystère de notre rédemption, Mysterium fidei. C’est salutaire, c’est notre sanctification… La souffrance acceptée fait d’un pécheur, un saint, par décret de Dieu. Dieu en a décidé ainsi. Notre péché a produit tous les maux et Dieu a décidé que les maux seraient notre salut. Dans ce domaine-ci, plus que partout ailleurs, il faut se méfier de nos sens. Toutes nos facultés peuvent nous tromper: intelligence, mémoire, entendement. Quand tout nous fait mal, qu’on ne voit plus l’horizon, appliquons-nous à nous soumettre à Dieu entièrement dans notre intérieur, et à adhérer. Alors, avec reconnaissance, nous louerons Dieu, nous Le bénirons et nous Le glorifierons par l’ardeur de notre foi. C’est le salut. C’est le salut pour soi, c’est le salut pour l’humanité. C’est ainsi que le monde sera sauvé. Cette foi a toujours été indispensable, mais maintenant elle l’est plus que jamais, parce que le monde va entrer dans un temps de souffrances plus intenses. Il faudra des témoins pour Dieu, qui vont savoir Le louer et Le glorifier par l’adhésion de leur cœur. Ils seront véritablement des Apôtres de l’Amour Infini, parce que leur cœur, en toute souffrance, en toute difficulté, en toute obscurité, toujours et en toutes circonstances, va adorer les desseins de Dieu. Notre-Dame de La Salette disait dans Son appel aux Apôtres des Derniers Temps: Je suis avec vous et en vous, pourvu que votre foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheur. C’est dans la souffrance, plus que partout ailleurs, qu’il faut pratiquer la foi. Et rappelez-vous que la foi, ce n’est pas de sentir, ce n’est même pas de comprendre. «Voici Mon Corps... Voici Mon Sang...» Jésus est réellement présent dans la Sainte Eucharistie, MYSTÈRE DE FOI! «Je t’ai expliqué comment Je pourvois aux besoins de Mes créatures, en général, comme en particulier. Ce que Je t’ai montré est comme la vapeur d’une goutte de rosée en comparaison de l’Océan. Je t’ai dit en effet, que c’est par la médiation de Mes serviteurs que Je ferai miséricorde au monde, et que c’est à cause de leurs souffrances que Je réformerai Mon Épouse [la Sainte Église]. Vraiment, on les peut appeler chacun, un autre Christ crucifié, puisqu’ils acceptent de remplir Son office. Mon Fils unique est venu comme Médiateur, pour mettre fin à la guerre entre l’homme et Moi, et nous réconcilier dans la paix. Il le fit en souffrant avec patience jusqu’à la mort ignominieuse de la croix. C’est aussi l’œuvre de ces crucifiés.» Le Père Éternel à sainte Catherine de Sienne

Magnificat Vol. LVIII, No 1 9 La foi, c’est d’adhérer à un mystère qui nous est révélé, un mystère qui dépasse la raison. Et plus nous sommes dépassés, plus nous sommes submergés par toutes sortes de souffrances, plus notre raison et tous nos sens s’y perdent, alors, plus aussi notre cœur, l’intime de notre être adhère à Dieu par la foi. — GRACIEUSEMENT C’est la coutume d’ajouter au mot d’ordre un souhait. Pour l’année qui vient de se clore, vous avez eu comme souhait «de suivre Jésus, la Vérité, et de le faire gracieusement». Cette année, nous réitérons le même souhait de pratiquer la vertu de patience gracieusement, c’est-à-dire de telle sorte que personne ne se rende compte que vous êtes patient. Quand on montre à son prochain qu’on est patient, c’est qu’on ne l’est pas. On veut lui faire sentir qu’il nous fait souffrir, qu’il nous exerce, qu’il est pour nous une cause de souffrances. Cette année appliquez-vous à pratiquer la patience gracieusement. Dans le cantique de saint Louis-Marie de Montfort sur la patience, nous chantons: Quelle gloire à Dieu, ce bon Père, De voir Son cher enfant qui rit, Qui baise humblement et révère Les verges dont Il le punit. Qui du milieu des coups s’écrie: «Dieu soit béni! Mon Dieu, pardon. Mon Père, je Vous remercie, Oh! quelle grâce! oh! le grand don.» — LE CHANT DE RECONNAISSANCE Quelle gloire à Dieu de voir Son enfant qui sourit, qui Le remercie dans la souffrance qu’Il lui envoie! Je suis convaincu que c’est le sommet de la religion. Oui, rien de plus grand ici-bas que d’accepter l’épreuve, remercier Dieu dans la souffrance, Le louant et Le bénissant, pas seulement des lèvres mais surtout du cœur et du fond de l’âme, en Lui disant: «Mon Dieu, rien de mieux ne pouvait m’arriver, puisque c’est Vous qui l’avez décidé ainsi.» Peu importe la tribulation, la souffrance, l’épreuve ou les maux. C’est très facile à dire assis confortablement sur un fauteuil, mais quand la souffrance nous visite, quand tout fait mal, cela peut devenir héroïque de dire: «Mon Dieu, oui! Rien de mieux ne pouvait m’arriver. Je Vous glorifie, je Vous bénis.» Jésus, l’Innocence même, a été considéré comme un homme frappé de Dieu, comme étant le coupable. Mais nous, nous ne sommes pas innocents. Et devant la souffrance qui vient nous visiter, nous devrions dire: «Dieu soit béni! Mon Dieu, pardon. Mon Dieu, Vous ne m’avez pas abandonné! Vous m’envoyez à souffrir, Vous avez décidé de me sauver. Mon Père, je Vous remercie. Oh! quelle grâce! oh! le grand don!» Je crois que tout le Ciel est en suspens en voyant un chrétien qui bénit et remercie Dieu, tandis que tout son être, son cœur et son âme, est dans l’épreuve, dans les ténèbres, et qu’il est accablé par toutes sortes de souffrances. Il n’y a rien pour la raison, c’est l’épreuve et rien que l’épreuve, et pourtant ce chrétien continue de louer le bon Dieu. Quand Il voit ce sentiment dans Son enfant, Dieu met tout le Ciel en suspens… Invitant les Anges et les Saints, et pour employer nos manières de parler, Il leur dit: «Venez voir Mon enfant. Venez voir ce spectacle. J’en ai un qui est opprimé, qui est dans les ténèbres, qui ne voit rien, qui ne comprend rien, qui souffre de toutes les manières. Et regardez comment il Me loue, Me bénit et Me remercie!» Quel spectacle singulier à Dieu, aux Anges et aux Saints! N’est-ce pas que nous voudrions donner cette gloire à Dieu? Je suis certain que le Ciel fait une pause pour contempler ce spectacle, tellement c’est grand, tellement ça glorifie Dieu. On pourrait entendre à ce momentlà Jésus répéter: En vérité, Je n’ai pas trouvé tant de foi en Israël.6 Mes frères et mes sœurs, nous faisons partie de l’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, le Magnificat, chant de reconnaissance de la Vierge Marie. Plus que tout 6. S. Luc 7, 9

10 Vol. LVIII, No 1 Magnificat autre, nous devons pratiquer cette reconnaissance dans l’épreuve et la douleur, de telle sorte que demain, à notre contact, l’humanité revienne à Dieu. Qu’au lieu de maugréer, de murmurer, de trouver l’action divine déplorable, voire néfaste – ce qui revient à critiquer Dieu même – que les âmes, à notre contact, louent, bénissent Dieu, à travers leurs souffrances. C’est l’intention de ce mot d’ordre et du souhait. Chantons les trois premières strophes du cantique sur la patience de saint LouisMarie de Montfort: J’admire une grande princesse Qui rit au milieu des tourments, Qui sans chagrin et sans tristesse Des maux fait ses plaisirs charmants. C’est l’invincible Patience, La leçon d’un Jésus mourant, Le fondement de l’espérance, La force du vrai conquérant. N’est-ce pas le grand sacrifice De l’homme à la Divinité Pour payer toute Sa justice, Pour glorifier Sa bonté, Pour attendre Sa Providence, Pour croire à Son autorité, Pour se soumettre à Sa puissance, Pour adorer Sa majesté? Quelle gloire à Dieu, ce bon Père, De voir Son cher enfant qui rit, Qui baise humblement et révère Les verges dont Il le punit, Qui du milieu des coups s’écrie: «Dieu soit béni! Mon Dieu, pardon. Mon Père, je Vous remercie. Oh! quelle grâce! oh! le grand don!» «Une âme qui souffre patiemment les tribulations qui lui viennent des créatures est plus grande qu’une âme pénitente. Mon vrai disciple est celui qui, toujours égal à lui-même, souffre, au-dedans et au dehors, sans se permettre la moindre plainte avec qui que ce soit. Celui qui possède la patience jouit ici-bas de tous les biens, en attendant qu’il soit couronné.» Jésus à la Bienheureuse Anna-Maria Taïgi (1769-1837) Lorsque nous sommes visités par la souffrance, c’est le moment ou jamais d’entonner le cantique de reconnaissance de notre Mère du Ciel: MAGNIFICAT!

Magnificat Vol. LVIII, No 1 11 N’est-ce pas le grand, le plus beau sacrifice de l’homme à la Divinité? Pour payer toute Sa justice... ça paye tout, tout! Sa justice est satisfaite. Pour glorifier Sa bonté. C’est vraiment un miracle de Son Amour infini. Le péché a amené tous les maux, et les maux réparent le péché. N’est-ce pas le grand sacrifice De l’homme à la Divinité Pour payer toute Sa justice, Pour glorifier Sa bonté, Pour attendre Sa Providence... C’est absolument certain que le projet, le grand dessein de la divine Providence se réalise ainsi. En ce premier jour de la nouvelle année, nous allons offrir ce premier Saint Sacrifice de la Messe avec Jésus qui est notre grand modèle, et qui va S’immoler à Son Père sur l’autel. Je demande à notre bon Jésus qui va Se sacrifier, de vous donner une grâce efficace pour réaliser le mot d’ordre de cette année – la patience par amour pour Dieu et en union avec Jésus-Christ – afin que le dessein de Sa Providence se réalise à travers souffrances et épreuves. J’offre cette Messe en votre nom, en y incluant l’intention, le désir de votre cœur de vous y appliquer. Que Son dessein d’amour se réalise à travers souffrances, épreuves, maux et tribulations, parce que notre âme, notre cœur va adhérer. Puissions-nous ne pas murmurer et ne pas critiquer, mais en toute patience, puissions-nous Le louer et Le glorifier. Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et de la Mère de Dieu. Ainsi soit-il. Notre-Dame de toute patience, priez pour nous. (Trois fois) Oh! qu’il en coûte pour donner à Jésus ce qu’Il demande! Quel bonheur que cela coûte! Quelle joie ineffable de porter nos croix faiblement! Ah! petite sœur chérie, loin de me plaindre à Jésus de la croix qu’Il nous envoie, je ne puis comprendre l’Amour infini qui L’a porté à nous traiter ainsi. Oh! ne perdons pas l’épreuve que Jésus nous envoie: c’est une mine d’or à exploiter, allons-nous manquer l’occasion?... Le grain de sable veut se mettre à l’œuvre sans joie, sans courage, sans force, et tous ces titres lui faciliteront l’entreprise; il veut travailler par amour. Sainte Thérèse de l’Enfant -Jésus Lettre à Céline, 28 février 1889 h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h h

12 Vol. LVIII, No 1 Magnificat La patience est une vertu chrétienne qui nous fait supporter avec égalité d’âme, par amour pour Dieu et en union avec JésusChrist, les souffrances physiques ou morales. Tous nous souffrons assez pour être des saints, si nous savons le faire vaillamment et pour des motifs surnaturels; mais beaucoup ne souffrent qu’en se plaignant, en maugréant, parfois même en maudissant la Providence; d’autres souffrent par orgueil ou cupidité et perdent ainsi le fruit de leur patience. Le vrai motif qui doit nous inspirer, c’est la soumission à la volonté de Dieu, et, pour nous y aider, l’espoir de la récompense éternelle qui couronnera notre patience. Mais le stimulant le plus puissant, c’est la méditation de Jésus souffrant et mourant pour nous. Si Lui, l’innocence même, a enduré si héroïquement tant de tortures physiques et morales, et cela par amour pour nous, pour nous racheter et nous sanctifier, n’est-il pas juste que nous, qui sommes coupables et avons par nos péchés causé Ses souffrances, consentions à souffrir avec Lui et dans les mêmes intentions que Lui, pour collaborer avec Lui à l’œuvre de notre purification et de notre sanctification, et avoir part à Sa gloire après avoir eu part à Ses souffrances? Les âmes nobles et généreuses y ajoutent un motif d’apostolat: elles souffrent pour compléter la Passion du Sauveur Jésus, et travailler ainsi à la rédemption des âmes. Là est le secret de la patience héroïque des Saints et de leur amour pour la croix. Les degrés de patience correspondent aux trois stages de la vie spirituelle. Au début, on accepte la souffrance, comme venant de Dieu, sans murmure et sans révolte, soutenu par l’espérance des biens célestes; on l’accepte pour réparer ses fautes et purifier son cœur, pour maîtriser ses penchants déréglés, en particulier la tristesse et l’abattement; on l’accepte, malgré les répugnances de la sensibilité, et si on demande que le calice s’éloigne, on ajoute que, malgré tout, on se soumet à la volonté divine. Au second degré, on embrasse les souffrances avec ardeur et détermination, en union avec Jésus-Christ, et pour se conformer davantage à ce divin Chef. On aime donc à parcourir avec Lui la voie douloureuse qu’Il a suivie de la crèche au Calvaire, on L’admire, on Le loue, on L’aime dans tous les états douloureux où Il a passé: dans le dénuement où Il S’est condamné à Son entrée dans le monde, Sa résignation dans l’humble crèche qui Lui sert de berceau, où Il souffre encore plus de l’ingratitude des hommes que du froid de la saison; les souffrances de l’exil; les obscurs travaux de la vie cachée; les labeurs, les fatigues et les humiliations de la vie publique, mais surtout, les souffrances physiques et morales de Sa longue et douloureuse Passion. Armé de cette pensée: Le Christ a souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de la même pensée1, on se sent plus courageux en face de la douleur ou de la tristesse; on s’étend amoureusement sur la croix, à côté de Jésus et par amour pour Lui: Avec le Christ, j’ai été cloué à la croix.2 Quand on souffre davantage, on jette un regard compatissant et amoureux sur Lui, et on L’entend nous dire: Bienheureux ceux qui pleurent… Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice.3 L’espoir de partager Sa gloire dans le Ciel rend plus supportables les crucifiements qu’on subit avec Lui: Pourvu toutefois que nous souffrions avec Lui, afin d’être glorifiés avec Lui.4 On en vient même parfois, comme saint Paul, à se réjouir de ses misères et de ses tribu1. Première épître de saint Pierre 4, 1 2. Saint Paul aux Galates 2, 19 3. S. Matth. 5, 5 et 10 4. Saint Paul aux Romains 8, 17 - La Patience - R.P. Adolphe Tanquerey, P.S.S.

Magnificat Vol. LVIII, No 1 13 lations, sachant bien que souffrir avec le Christ, c’est Le consoler et compléter Sa Passion, c’est L’aimer plus parfaitement sur terre et se préparer à jouir davantage de Son amour dans l’éternité: Je me glorifierai donc volontiers de mes faiblesses, afin que la force du Christ habite en moi… Je surabonde de joie au milieu de toutes nos tribulations.5 Et ceci nous mène au troisième degré, le désir et l’amour de la souffrance, pour Dieu qu’on veut ainsi glorifier, et pour les âmes à la sanctification desquelles on veut travailler. C’est ce qui convient aux parfaits et surtout aux âmes apostoliques, aux religieux, aux prêtres et aux âmes d’élite. C’est cette disposition qu’avait Notre-Seigneur en S’offrant à Son Père comme victime dès Son entrée dans le monde et qu’Il exprimait en proclamant Son désir d’être baptisé du baptême douloureux de Sa Passion: J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme Je Me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse!6 Par amour pour Lui, et afin de Lui mieux ressembler, les âmes parfaites entrent dans les mêmes sentiments: «car, nous dit saint Ignace de Loyola, comme les gens du monde, qui sont attachés aux choses de la terre, aiment et cherchent avec beaucoup d’empressement les honneurs, la réputation et l’éclat parmi les hommes... de même ceux qui s’avancent dans la voie de l’esprit et qui suivent sérieusement Jésus-Christ, aiment et désirent avec ardeur tout ce qui est contraire à l’esprit du monde... De sorte que, si cela pouvait se faire sans aucune offense de Dieu et sans scandale du prochain, ils voudraient souffrir des affronts, des faux témoignages et des injures, être regardés et traités comme des insensés, sans toutefois en avoir donné le sujet, tant ils ont de désir de se rendre semblables en quelque manière à Notre-Seigneur Jésus-Christ... afin qu’avec le secours de Sa grâce nous tâchions de L’imiter autant qu’il sera possible, et de Le suivre en toutes choses, puisqu’Il est la voie véritable qui conduit les 5. Saint Paul, deuxième épître aux Corinthiens 12, 9 et 7, 4 6. S. Luc 12, 50 hommes à la vie.»7 Il n’y a évidemment que l’amour de Dieu et du divin Crucifié qui puisse faire aimer de la sorte les croix et les humiliations. Faut-il aller plus loin, s’offrir à Dieu comme victime et demander positivement à Dieu des souffrances exceptionnelles, soit pour réparer la gloire de Dieu, soit pour obtenir quelque insigne faveur? Assurément il y a eu des Saints qui l’ont fait, et aujourd’hui encore il y a des âmes généreuses qui sont portées à le faire. Mais, d’une façon générale, on ne peut prudemment conseiller ces demandes: elles prêtent trop à l’illusion et sont souvent inspirées par une générosité irréfléchie qui vient de la présomption. «On les fait, dit le Père de Smedt, en des moments de ferveur sensible, et, le temps de cette ferveur une fois passé... on se sent trop faible pour exécuter les actes héroïques de soumission et d’acceptation qu’on avait faits si énergiques en imagination. De là des tentations très rudes de découragement ou même des murmures contre la divine Providence... C’est là une source de beaucoup d’ennuis et d’embarras pour les directeurs de ces âmes.»8 Il ne faut donc pas demander de soi-même des souffrances ou épreuves spéciales; si on s’y sent porté, on consultera un directeur sage, et on ne fera rien sans son approbation. Source: Père Adolphe-Alfred Tanquerey, P.S.S. (18541932), Précis de Théologie Ascétique et Mystique, Paris, 1928, 10e édition, Desclée et cie, p. 683-686, Nos 1088-1092. 7. Saint Ignace de Loyola, Constitutions de la Compagnie de Jésus, «Examen général», chap. 4, no 44. 8. Père Pierre-Jean de Smedt, S.J., Notre vie surnaturelle, tome 2, p. 260.

14 Vol. LVIII, No 1 Magnificat Un fidèle serviteur de Dieu Environ sept siècles avant JésusChrist, vivait un homme appelé Tobie, originaire de la tribu et d’une ville de Nephtali. Privé de son père dès l’âge le plus tendre, il obéit fidèlement aux recommandations de sa pieuse mère Déborah. Pendant que les hommes de sa tribu et de sa parenté sacrifiaient aux idoles, seul de sa famille, il allait à Jérusalem adorer le Dieu de ses pères. Son enfance et sa jeunesse se passèrent dans l’exercice constant de toutes les vertus. Arrivé à l’âge viril, il épousa une jeune fille de sa tribu, nommée Anne. Il en eut un fils qu’il nomma Tobie comme lui-même et qu’il éleva dans la crainte de Dieu et l’horreur du péché. Bientôt, l’armée de Salmanazar, roi d’Assyrie, tomba sur Israël et désola le royaume de Samarie. Le saint homme Tobie, enveloppé dans le malheur général de sa nation, fut emmené captif à Ninive avec son épouse et son fils. Il fut tel en Assyrie qu’il avait paru en Israël. Les exemples de ses propres frères ne l’avaient pas séduit, ceux des étrangers ne purent le corrompre. Les autres Israélites, accoutumés depuis longtemps à violer la Loi de Dieu, mangèrent indifféremment de toutes les viandes dont se nourrissaient les Gentils. Le fidèle Tobie ne voulut jamais se souiller d’un pareil crime. Aussi charitable envers ses frères que religieux observateur de sa Religion, il distribuait à ses malheureux compatriotes le peu de bien qu’il avait pu apporter avec lui. En récompense de sa fidélité, le Seigneur lui fit trouver grâce devant Salmanazar. Touché de la charité de son captif, ce prince lui donna dix talents d’argent. En outre, il employa Tobie dans les approvisionnements du palais, lui donna l’entière liberté de ses actes, et lui permit d’aller où il voudrait. Tobie profita des faveurs du monarque pour visiter ses frères exilés et leur distribuer des secours et des consolations. Sa charité le conduisit jusqu’à Ragès, en Médie, où il fit un acte héroïque de générosité qui fut pour lui, sinon la source principale, du moins l’occasion des merveilles par où le Seigneur Se préparait à récompenser sa vertu. Il trouva dans cette ville un grand nombre d’Israélites de sa tribu, entre autres un de ses parents nommé Gabélus. Cet homme, vertueux et pauvre tout ensemble, avait besoin d’un prompt secours et ne savait à qui le demander. Tobie lui prêta généreusement les dix talents qu’il avait reçus du roi et emporta l’obligaLe saint homme Tobie assure une sépulture à ses compatriotes mis à mort. TOBIE

Magnificat Vol. LVIII, No 1 15 tion par laquelle Gabélus s’engageait à les lui rendre. Cependant, Salmanazar mourut. Son fils, Sennachérib, héritier de sa couronne, ne le fut pas de sa douceur pour les Hébreux; il les détestait. Dans sa haine, il en fit périr une grande multitude, avec ordre de laisser leurs corps sans sépulture. Cette disposition du roi devint pour Tobie un nouveau motif de redoubler ses attentions. Tous les jours, il visitait les exilés, les consolait de son mieux, donnait du pain à ceux qui avaient faim et des habits à ceux qui étaient nus. Il ne craignait pas même de dérober les cadavres de ses compatriotes suppliciés, pour leur donner la sépulture pendant la nuit. Tobie connaissait les ordres du sanguinaire despote et savait quel risque il courait, mais rien ne put ébranler son pieux courage et il continua d’enterrer les corps de ceux qu’on égorgeait. Sennachérib ne tarda pas à en être instruit: Tobie fut condamné à mort et tous ses biens confisqués. Heureusement, le saint homme parvint à s’enfuir et à se cacher avec son épouse et son fils. Son cruel persécuteur mourut bientôt, tué dans une sédition. Tobie revint à Ninive et reçut du nouveau roi ses biens confisqués et sa liberté première. Aussitôt ses libéralités recommencèrent. Plus de cinquante ans d’une vie de bonnes œuvres et de vertu demandaient, ce semble, des récompenses, mais les vues du Seigneur sur Ses Saints sont bien différentes de celles des hommes. Après mille épreuves, généreusement soutenues, au lieu des faveurs que nous attendons pour eux, Il leur destine de nouveaux combats qui enrichissent leur couronne en perfectionnant leur vertu. Tobie avait été frappé dans ses biens et dans sa liberté, il ne l’avait pas été dans sa personne; il lui fallait ce dernier trait de ressemblance avec les anciens patriarches dont il était l’imitateur. Une grande épreuve Une nuit, le vénérable vieillard avait enseveli le cadavre d’un pauvre Israélite assassiné. Épuisé par sa charitable besogne, il s’étendit au pied d’une muraille et s’endormit, le visage découvert. Pendant son sommeil, des fientes lui tombèrent d’un nid d’hirondelles sur les yeux. Une taie blanche ne tarda pas à se développer, si bien que, malgré tout l’art des médecins, Tobie perdit complètement la vue. Dieu permit cette infortune, comme Il avait permis les épreuves du saint homme Job, afin de donner aux âges futurs un grand exemple de patience; car dans cette nouvelle affliction, Tobie ne s’emporta point contre le Seigneur. Au contraire, inébranlable dans sa foi pleine de respect, il Lui rendit grâces comme aux jours de sa prospérité. Aveugle, appauvri par ses aumônes excessives, il entendait souvent ses proches le railler, comme autrefois les amis de Job: «Vous voilà bien récompensé, lui disaient-ils, de vos prodigalités et du zèle que vous mettiez à enterrer les morts!» Mais il se contentait de leur répondre: «Nous sommes les enfants des Saints et nous attendons cette vie meilleure que Dieu doit donner à ceux qui L’auront servi avec une inébranlable fidélité.» Il n’y avait pas jusqu’à son épouse qui ne lui adressait d’amers reproches. À l’exemple de Job, soumis à la même épreuve, Tobie s’adressa en pleurant au Dieu de toute consolation: «Vous êtes juste, Seigneur, et tous Vos jugements sont pleins d’équité… Oui, c’est avec justice que nous subissons ces châtiments, nous, les violateurs de Votre Loi sainte. Faites donc de moi ce qu’il Vous plaira, et que mon âme s’envole bien vite au séjour de la paix, car il vaut mieux pour moi mourir que de continuer ici-bas ma triste vie.» Dernières recommandations Ayant donc demandé au Seigneur de l’enlever de ce monde, Tobie ne pensa plus qu’à mettre ordre à ses affaires. Il appela son fils pour lui faire ses dernières recommandations. «Mon fils, lui dit-il, écoute mes paroles et grave-les dans ton cœur. Quand Dieu aura reçu mon âme, tu prendras soin de ma sépulture.

16 Vol. LVIII, No 1 Magnificat Sois pour ta mère un fils respectueux… «Que le souvenir de Jéhovah, notre Dieu, ne s’efface jamais de ton cœur. Surtout, garde-toi de commettre un péché en foulant aux pieds Sa Loi sainte. Dans tes biens réserve toujours la part de l’aumône, et ne détourne point ta face de l’indigent, si tu veux que Dieu laisse tomber sur toi Son regard. Si tu as beaucoup, donne beaucoup; si tu as peu, donne ce peu de bon cœur. De la sorte, tu amasseras de grands trésors pour le jour de la détresse, car l’aumône délivre l’âme du péché et la sauve des éternelles ténèbres. Devant le Dieu TrèsHaut, grande sera la confiance de tous ceux qui auront aimé le pauvre. «Garde-toi, mon fils, du vice impur. Crains jusqu’au commencement d’une inclination qui conduirait au crime. «Ne laisse point l’orgueil, ce principe de toute perdition, pénétrer dans ton âme ou percer dans tes paroles. Ne fais point à autrui ce qui te déplairait à toi-même. Donne à l’ouvrier son salaire, aux affamés la nourriture, à ceux qui sont nus le vêtement. Recherche le conseil des hommes sages, et bénis Dieu en tout temps, Le priant de diriger tes pas et de favoriser tes entreprises.» Ainsi, le saint homme mit en première ligne tous les grands devoirs comme tous les grands intérêts de son fils. Ce n’est qu’à la fin qu’il lui dit: «Dans ton enfance, mon fils, j’ai confié dix talents d’argent à Gabélus de Ragès, ville des Mèdes. L’obligation, souscrite par lui, est entre mes mains. Vois comment tu pourras faire ce voyage, afin de rentrer en possession de cette somme. Du reste, sois sans crainte: bien que menant une vie pauvre, nous serons assez riches si nous conservons la crainte de Dieu, l’horreur du péché et le zèle des bonnes œuvres. – Je ferai, mon père, répondit le jeune Tobie, tout ce que vous m’avez commandé; seulement, je ne sais de quelle manière recouvrer l’argent. Gabélus ne me connaît pas; je ne le connais pas non plus. D’ailleurs, le chemin qui mène en Médie m’est inconnu. – Quant à Gabélus, j’ai son obligation; tu n’auras qu’à la lui montrer, et, j’en suis sûr, il te remettra les dix talents. Quant au voyage, cherche parmi nos frères un guide fidèle qui consente à t’accompagner; nous lui payerons sa peine au retour.» Le jeune Tobie sortit aussitôt à la recherche d’un guide. Et voici qu’il vit venir à sa rencontre un jeune homme bien fait, d’un air noble et doux, en habit de voyageur, apparemment tout prêt à se mettre en marche. Ne sachant pas que c’était un Ange de Dieu, Tobie le salua et lui dit: «Qui êtes-vous, excellent jeune homme? – Je suis un enfant d’Israël. – Connaissez-vous le chemin de Ragès, ville des Mèdes? – Je le connais parfaitement car j’ai habité chez Gabélus, notre frère, qui demeure en cette ville. – Attendez-moi un instant, s’exclama le jeune Tobie, je vais annoncer cette nouvelle à mon père.» Émerveillé de cette heureuse rencontre, le vieux Tobie voulut parler à l’étranger. On convint avec lui qu’il accompagnerait Tobie fils, et qu’au retour on lui donnerait une récompense. Le vénérable Patriarche donna sa bénédiction aux deux voyageurs, et après les adieux, ils se mirent en route. Tobie bénit son fils sur le point d’entreprendre le voyage en Médie.

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