Magnificat Mai 2021

Toute reproduction complète d’un article publié dans cette revue est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction de la revue MAGNIFICAT. ©Tous droits réservés Publication mensuelle des Apôtres de l’Amour Infini – L’abonnement au Magnificat est au tarif minimum annuel de 12,00$ au Canada, 14,00$ aux États-Unis, et 25 Euros (30,00 USD) pour les autres pays. Le montant de l’aumône en vue de nous aider à couvrir les frais d’imprimerie est laissé à la discrétion de chacun. Cette revue est publiée dix fois par an. SOMMAIRE VOL. LVI, No 5 Mai 2021 Marie, Mère de Dieu et notre Mère . . . . . . . . Page 111 Considérations sur la fête de la Pentecôte, par monseigneur Jean-Joseph Gaume. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 – Grandeur de la fête – Histoire de la fête – Effets du SaintEsprit – Prose: Veni, sancte Spiritus – Dispositions à la Pentecôte Mais priez Mes enfants... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 150e anniversaire de l’Apparition de la Vierge Marie à Pontmain (17 janvier 1871) – Les avertissements – Le châtiment – Cri de foi – La réponse du Ciel – «Une Madone invisible nous barre le chemin!» – «Mais priez Mes enfants» – Le Père Michel Guérin, curé de Pontmain – Les Voyants de Notre-Dame Compléments: – Notre-Dame d’Espérance de Saint-Brieuc et le chanoine Paul-Marie Prud’homme (page 125) – Le général Antoine Alfred Chanzy et le retrait subit des Prussiens (p. 132) – Description et symbolisme de l’Apparition (p. 133) La Vierge de Pontmain au Liban: Notre-Dame de Béchouate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 – La «Vierge bleue» – Un sanctuaire vieux de trois siècles – Essor prodigieux du pèlerinage MONASTÈRE DU MAGNIFICAT DE LA MÈRE DE DIEU 290 7e Rang – CP 4478 – Mont-Tremblant – QC J8E 1A1 TÉL. (819) 688-5225 magnificat.ca L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, demandé par la très Sainte Vierge Elle-même à La Salette (France) a été fondé au Canada en 1962. L’Ordre comprend des prêtres, des religieux et religieuses dont certains viennent de différentes Congrégations dans le but de conserver leur identité et leur fin respective, mais tous suivant une Règle commune: celle qui fut dictée par la Mère de Dieu à La Salette (1846) et fut approuvée par Léon XIII en 1879. L’Ordre compte aussi des disciples, c’est-à-dire des membres laïcs, célibataires ou mariés, vivant en communauté de biens avec les religieux et partageant leurs travaux. Il comprend aussi des tertiaires, membres laïcs vivant dans le monde, mais plus impliqués dans les activités de l’Ordre que les simples fidèles. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu existe et opère sous sa propre Hiérarchie. Il est de foi, de doctrine, de tradition et de pratiques chrétiennes catholiques. Bien que voulant fermement revenir à la simplicité évangélique des premiers temps de la chrétienté, l’Ordre veut garder intacts les enseignements doctrinaux dispensés avec continuité, de siècle en siècle, par les Saints et par les Docteurs de l’Église catholique romaine. L’Ordre du Magnificat de la Mère de Dieu, aussi connu sous le nom Les Apôtres de l’Amour Infini, est reconnu civilement au Canada par une charte fédérale ainsi qu’une charte provinciale (Québec). Il possède aussi des chartes aux États-Unis, en France, en Guadeloupe, à Porto Rico, au Guatemala, en République Dominicaine et en Équateur. L’Ordre est aussi établi en Italie, en Afrique du Sud et en Argentine. Outre l’adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, la prière, l’étude et les travaux de toutes sortes, la Communauté se prête à toutes les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle. Cependant, la fin particulière de l’Ordre est la conservation du Dépôt de la Foi par l’enseignement religieux sous toutes ses formes, aux adultes et aux enfants. Un autre but spécifique est la lutte contre tous les abus qui ont amené la décadence du clergé, de l’état religieux et de la société chrétienne. L’Œuvre travaille aussi en vue de l’unité chrétienne tant désirée par Jésus-Christ, unité dans la vérité.  Notre couverture: APPARITION DE LA VIERGE MARIE À PONTMAIN ÔNotre-Dame de Pontmain, qui avez daigné apparaître en nous présentant à deux mains la croix sanglante de Jésus, gravez pour toujours en mon âme l’amour de Votre divin Fils. Vous savez, ôMarie, combien je voudrais être à Lui, sans réserve d’aucune sorte, mais hélas! je crains tout demon inconstance et de ma faiblesse. Venez donc, bonne Mère, me fortifier et me secourir. Aidez-moi, je Vous en supplie, à Lui rester fidèle malgré les assauts du mal. Obtenez-moi, sainte Mère, de connaître Jésus chaque jour plus pleinement, de L’aimer plus ardemment et de Le servir plus parfaitement. Ainsi soit-il. Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2021 Envoi de Poste-publications ISSN 0025-0007 2104-101-2997 Imprimé au Canada

Bien chers lecteurs et lectrices, Les enfants de Marie affectionnent particulièrement le beau mois de mai, spécialement consacré à honorer notre bonne Mère du Ciel. Parmi les innombrables titres attribués à la Sainte Vierge au cours des siècles, il en est certains qui nous parlent plus au cœur dans les tempêtes que nous traversons, ballottés par les vagues infernales qui menacent nos frêles barques: Marie, Secours des Chrétiens, Notre-Dame de la Belle Espérance, Refuge des pécheurs, et particulièrement Mère de Miséricorde. Mère, parce que bien que pécheurs, nous sommes Ses enfants chéris; de Miséricorde, parce que nous ne sommes que misère et que, par conséquent, notre besoin le plus pressant et le plus ressenti, c’est celui de la miséricorde. N’estce pas l’attribut que Son Cœur maternel se plaît le plus à exercer? Et pour tâcher de nous sauver tous, Marie accentue de nos jours ce rôle qu’Elle remplit en notre faveur. Voici ce que notre Mère du Ciel nous disait dans un message au Père Jean-Grégoire de la Trinité (8 décembre 1966). Ces paroles de réconfort maternel sont toujours d’une brûlante actualité: «Je suis votre Mère. Je ne vous abandonnerai jamais. «Les hommes ont beaucoup manqué, ils sont bien coupables. Mais le plus grand manquement qu’ils ont commis, c’est de ne pas recourir à Mon Cœur miséricordieux. Malgré toutes les misères, s’ils voulaient recourir à Mon Cœur miséricordieux, ils seraient encore sauvés. «J’ai été conçue sans péché, et vous, vous avez été conçus dans le péché, Mes enfants. C’est pourquoi Je suis si miséricordieuse à votre égard et Je veux tellement vous venir en aide, mais vous n’avez pas recours à Moi suffisamment. «Mon Cœur vous est tout grand ouvert, Mes enfants. Je vous le répète, Je suis votre Mère. Je ne peux pas vous dire de plus belles paroles en ce jour: Je suis votre Mère et vous n’aurez jamais assez recours à Moi. C’est ce que Je reproche maintenant à l’humanité: de ne pas avoir assez recouru à sa Mère. J’avais tous les pouvoirs divins entre les mains; il s’agissait de venir Me solliciter, et vous ne l’avez pas fait. J’aurais voulu, dans Mon Cœur maternel, pouvoir venir sans votre prière, mais Dieu exige la prière. C’est ce qui Me fait tant souffrir. Je ne peux pas déverser sur vous les grâces autant que Je le voudrais, par votre faute. «Je ne Me manifesterai pas toujours d’une manière aussi tangible, mais J’y serai quand même et Je répandrai les grâces de Mon Cœur maternel.» Consolons donc notre bonne Mère du Ciel en intensifiant nos prières. Offrons-Lui les bouquets de nos Ave Maria répétés avec amour. Ô Marie, qui, par Vos ardents désirs et Vos prières ferventes, avez autrefois attiré le Saint-Esprit sur les Apôtres, priez-Le aussi pour moi. Par le mérite de Vos sept douleurs, obtenez-moi les sept dons du Saint-Esprit, ainsi que la grâce d’y correspondre fidèlement. Faites, ô douce Mère, qu’après m’être laissé diriger en cette vie par le Saint-Esprit, j’aie le bonheur d’être introduit par Lui dans le Ciel, pour aimer et louer à jamais, en union avec Vous, l’adorable Trinité, à qui soient rendus tout honneur et toute gloire! Avec l’assurance de nos prières, Vos frères et sœurs du Magnificat Magnificat Vol. LVI, No 5 111

112 Vol. LVI, No 5 Magnificat ’ÉGLISE veut que ses grandes solennités soient précédées de longues préparations. Il y a là une grande connaissance du cœur humain. L’avent nous prépare à Noël; le carême, à Pâques; le temps pascal, à la Pentecôte. «Nous nous préparons à la fête de Pâques, dit Eusèbe, par quarante jours de jeûne, et nous nous disposons à la Pentecôte par cinquante jours d’une sainte allégresse.» Pourquoi ces joies? Le même historien nous l’apprend. «À Pâques, dit-il, on reçoit le Baptême; à la Pentecôte, on reçoit le Saint-Esprit, qui est la perfection du Baptême. La Résurrection de Jésus-Christ fortifia les Apôtres; c’est la Pentecôte qui consomma leur charité et les rendit invincibles. En ce jour, l’Esprit-Saint fut donné à l’Église, avec la plénitude nécessaire pour subjuguer l’univers. C’est pourquoi je regarde la Pentecôte comme la plus grande de toutes les fêtes.»1 1. Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin Les dix jours qui la précèdent sont consacrés, par les chrétiens pieux, au recueillement et à la prière. Ils s’enferment au Cénacle avec la Sainte Vierge et les Apôtres, pour se disposer à recevoir le Saint-Esprit dans l’abondance de Ses dons. Grandeur de la fête Toutes ces préparations à la Pentecôte catholique n’ont rien d’exagéré, si nous réfléchissons à l’excellence de cette fête. D’abord, par la grandeur de son objet, elle laisse bien loin derrière elle toutes les fêtes profanes. Ensuite, elle l’emporte sur la Pentecôte judaïque, autant que la loi de grâce l’emporte sur la loi de crainte, l’accomplissement du mystère de notre rédemption sur les types et les figures qui l’annonçaient. La troisième Personne de l’auguste Trinité descendant sur l’univers pour le régénérer, comme Elle était, au jour de la création, descendue sur le chaos pour le féconder; le divin Ré-

Magnificat Vol. LVI, No 5 113 dempteur mettant la dernière main au grand œuvre qui était l’objet de tous Ses mystères; un nouveau peuple destiné à adorer Dieu en esprit et en vérité, depuis l’aurore jusqu’au couchant; la face du monde renouvelée; le Judaïsme figuratif remplacé par la réalité; le Paganisme frappé de mort; l’alliance universelle de Dieu avec les hommes, promise depuis quarante siècles et enfin réalisée: tels sont les merveilles et les sujets de louanges et de méditation renfermés dans la fête de la Pentecôte. Histoire de la fête Rappelons maintenant les circonstances au milieu desquelles s’accomplit ce mystère. Après l’ascension de leur divin Maître, les Apôtres étaient retournés à Jérusalem, où ils attendaient l’effet de Sa promesse. Ils se tenaient dans un cénacle, c’est-à-dire dans une chambre haute, isolée du reste des appartements. Dans la Palestine, les maisons étant recouvertes d’une plateforme, la chambre la plus haute était la plus grande, comme la plus retirée: c’est là que les Juifs avaient leurs oratoires particuliers.2 On croit que les Apôtres étaient assemblés dans la maison de Marie, mère de Jean-Marc, ce fervent disciple dont parle saint Luc. Quoi qu’il en soit du lieu de leur assemblée, ils représentaient l’Église universelle. Ils étaient dans l’attente des promesses de leur divin Maître, lorsque, le dixième jour après Son ascension, et le cinquantième après Sa résurrection glorieuse, le Saint-Esprit descendit sur eux. C’était un dimanche, lendemain de la Pentecôte des Juifs, afin que la Loi nouvelle fût publiée à la même époque, où l’ancienne, qui devait lui faire place, avait été donnée sur le mont Sinaï. Mais voyez la différence! L’ancienne Loi avait été promulguée au milieu des tonnerres et des éclairs, et au son bruyant des trompettes. Elle menaçait de mort les infracteurs. Elle était écrite sur des tables de pierre, et fatiguait par la multiplicité des commandements et des pratiques, auxquels elle assujettissait un peuple 2. L’impératrice Hélène fit bâtir une église magnifique dans le lieu même où le Saint-Esprit était descendu sur les Apôtres. ignorant et grossier, qu’il fallait plier à l’obéissance plutôt par la crainte que par l’amour. La nouvelle Loi, au contraire, est une loi non de terreur, mais de grâce, destinée à être écrite non sur la pierre, mais dans le cœur des hommes. Ouvrage de l’Esprit-Saint, principe de consolation, de douceur et d’amour, elle ne pouvait être promulguée avec l’appareil effrayant et les menaces qui avaient accompagné la publication de la loi mosaïque. Assez longtemps Dieu avait eu des esclaves; Il voulait des enfants. Donc, le dimanche, jour de la Pentecôte, vers les neuf heures du matin, comme les Disciples étaient tous ensemble, ils entendirent tout à coup un bruit semblable à celui d’un grand vent venant du ciel, et qui remplit toute la maison où ils sont renfermés.3 Ce signal de l’arrivée du Saint-Esprit est destiné à réveiller leur attention: il est plein de mystères. Ce vent qui vient d’en haut, messager des saintes inspirations, est le souffle de la grâce qui soutient dans nos âmes la vie spirituelle, comme l’air atmosphérique soutient notre existence physique. Sa véhémence 3. Actes 2, 2-3 La descente du Saint-Esprit sur la Vierge Marie et les Apôtres

114 Vol. LVI, No 5 Magnificat marque le pouvoir de la grâce sur les cœurs pour les changer et les vivifier. S’il remplit toute la maison, c’est que l’Esprit-Saint présente Ses dons aux hommes de tous pays, qu’Il nous transforme en êtres nouveaux et qu’Il pénètre toutes nos facultés. À ce premier prodige en succède un autre. Du ciel descendent des langues de feu qui se partagent et se reposent sur la tête de chacun des membres de l’heureuse assemblée. C’est l’Esprit-Saint Lui-même qui aime à revêtir des formes extérieures, emblèmes des effets étonnants qu’Il produit intérieurement dans les âmes. Je Le vois, au baptême du Sauveur, apparaissant sous la forme d’une colombe, pour marquer l’innocence et l’abondance des œuvres saintes qui sont le fruit du Sacrement de la régénération. Aujourd’hui Sa présence se manifeste sous la forme de langues de feu, emblème éloquent de l’unité de croyance et d’amour qui allait faire de tous les hommes un seul peuple de frères. Le feu éclaire, élève, transforme en lui tout ce qu’il embrase; semblables effets sont produits par le Saint-Esprit dans nos âmes. Le feu se montre sous la forme de langues plutôt que sous la forme de cœurs, pour faire entendre que les dons du Saint-Esprit sont répandus sur les Apôtres, non seulement afin qu’ils aiment Dieu, mais encore afin qu’ils Le fassent aimer aux autres, en leur communiquant par la parole le feu de leur charité. Cette forme annonce aussi le don des langues, qui va mettre les Apôtres en état de communiquer avec les différentes nations, pour leur prêcher la doctrine du divin Maître.4 Voyez ici le Sauveur réparant les dernières suites du péché. Les descendants de Noé, ayant voulu construire la tour de Babel, furent dispersés par la confusion de leur langage. Châtiment de l’orgueil, cette confusion des langues amena la confusion des idées, l’oubli des traditions saintes, et enfanta des haines, des divisions continuelles entre les peuples. Le don des langues, à la publication de l’Évangile, est l’heureux présage de la réunion future de toutes les nations dans l’unité de croyance et d’amour, pour ne plus former qu’une grande famille publiant la gloire du Seigneur de l’orient au couchant.5 Effets du Saint-Esprit La descente du Saint-Esprit opéra sur-lechamp dans les Apôtres un double miracle: miracle intérieur et miracle extérieur. Miracle intérieur: toutes leurs facultés furent enrichies des dons de Dieu. Éclairé d’une lumière divine, leur entendement pénétra sans peine le sens des anciennes prophéties et des livres sacrés, comme les mystères de la foi et toutes les vérités révélées. La magnifique économie du Christianisme, son but, ses moyens, sa fin, la douceur étonnante de leur Maître, l’excès de Son amour pour les hommes, la profondeur des conseils de Dieu et Son pouvoir sans bornes dans les différentes dispensations de Sa grâce, 4. On croit que ce fut le jour de la Pentecôte, immédiatement après le miracle de la descente du Saint-Esprit qui, en donnant naissance à l’Église, abolissait la Synagogue, que saint Pierre célébra la première messe, pour inaugurer solennellement le Christianisme. 5. Cf. Psaume 112, 3 Soudain les cieux s’ouvrirent et l’Esprit-Saint descendit visiblement, sous la forme d’une colombe, et Se reposa sur Jésus.

Magnificat Vol. LVI, No 5 115 tous ces abîmes impénétrables aux créatures les plus parfaites cessèrent d’être obscurs pour les Apôtres. Quant à leur cœur, l’amour divin le pénétra tellement, qu’il en bannit tout ce qui pouvait y être resté d’impur, et le remplit des grâces les plus abondantes et des vertus les plus sublimes. Pour tout dire, en un mot, le Saint-Esprit changea les Apôtres en des hommes nouveaux. La preuve authentique de ce changement intérieur, c’est le miracle extérieur de leur conduite. Entendez-vous ces douze Galiléens, ces pêcheurs sans culture et sans lettres, parlant, écrivant avec une éloquence, une dignité, une profondeur qui fait tomber le génie en admiration; citant au besoin avec justesse et appliquant avec une sagacité parfaite les passages les plus difficiles des livres saints? Tout cela montrait avec évidence aux plus incrédules qu’ils ne parlaient pas d’eux-mêmes. Ce qui ne le montrait pas moins clairement, c’est leur courage et leur zèle pour la gloire de Dieu. Singulier spectacle! Voici douze pêcheurs dont le plus hardi, il y a quelques jours, reniait trois fois son maître à la voix d’une servante; les voici, dis-je, qui affrontent les magistrats, les rois, la terre entière conjurée contre eux. «Voyez-vous, dit saint Chrysostome, avec quelle intrépidité ils se conduisent! Ils triomphent de tous les obstacles, comme le feu triomphe de la paille qu’il rencontre. Des villes entières s’élèvent contre eux, des nations se liguent pour les perdre; des guerres, des bêtes féroces, le fer, le feu les menacent. Vains efforts; ils ne sont pas plus émus à la vue de tous ces dangers, que si c’étaient des songes ou des ennemis en peinture. Ils sont sans armes et font tête à des légions armées. Des hommes sans lettres osent se mesurer avec une multitude d’orateurs, de sophistes, de philosophes, et les confondent. Paul abaisse à lui seul l’orgueil de l’Académie, du Lycée et du Portique: les disciples de Platon, d’Aristote et de Zénon restent muets devant lui.»6 Ces merveilles, que le Saint-Esprit opéra au jour mémorable de Sa venue, Il les opère encore dans les âmes bien disposées. Les dons extérieurs n’ont jamais cessé dans l’Église: seulement ils sont moins communs, parce qu’ils ne sont plus aussi nécessaires. Mais les dons intérieurs, dont nous avons toujours besoin, nous pouvons toujours les obtenir. L’Église nous invite à les demander surtout au jour de la Pentecôte. Elle a raison; plus que jamais le Saint-Esprit est indispensable au monde. C’est pour cela que, dans l’office de ce grand jour, la tendre mère des Chrétiens, la protectrice de la société, l’Église catholique, met sur les lèvres de ses enfants et chante avec eux cette prose, si propre à attirer le Saint-Esprit dans les cœurs: 6. Saint Jean Chrysostome, Homélie IV sur les Actes des Apôtres «Israélites, écoutez ces paroles: Jésus de Nazareth fut l’Homme accrédité de Dieu auprès de vous... Ce Jésus, crucifié par vous, Dieu L’a fait Seigneur et Christ... Ce Jésus, Dieu L’a ressuscité, et nous en sommes tous les témoins! Élevé au Ciel par la droite de Dieu, et en possession de la promesse qu’Il tenait de Son Père de nous envoyer le Saint-Esprit, Il vient de Le répandre sur nous: vous le voyez, et vous l’entendez!»

Ô lumière agréable et réjouissante! venez répandre une douce sérénité dans les âmes qui Vous sont fidèles. Souvent une triste obscurité les environne, comblez-les de cette allégresse qui Vous accompagne. 116 Vol. LVI, No 5 Magnificat Venez, Esprit-Saint, éclairez-nous toujours de plus en plus et faites sans cesse briller à nos yeux les rayons de Votre céleste lumière. Veni, sancte Spiritus, et emitte cælitus lucís tuæ radium. Veni, Pater pauperum; veni, dator munerum; veni, lumen cordium. Consolator optime, dulcís hospes animæ, dulce refrigerium. In labore requies, in æstu temperies, in fletu solatium. O lux beatissima! reple cordis intima tuorum fidelium. Sine tuo numine, nihil est in homine, nihil est innoxium. Lava quod est sordidum, riga quod est aridum, sana quod est saucium. Da tuis fidelibus in te confidentibus sacrum septenarium. Flecte quod est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium. Venez, Vous êtes le Père des pauvres. Hélas! pauvres, nous le sommes, et surtout des biens de la vie future. À ce titre, nous sommes doublement dignes de cette visite et des dons de Votre compassion et de Vos largesses. Répandez-les sur nous avec abondance, ô Vous qui êtes la lumière des cœurs et le distributeur de tous les dons. Nous traînons une vie misérable dans les travaux, la tristesse et les amertumes. C’est en vain que nous chercherions notre consolation parmi les hommes. Nous n’y trouvons que des consolateurs onéreux qui aigrissent nos maux ou qui nous laissent dans l’accablement de la douleur. Esprit consolateur, Vous êtes le meilleur ami, le seul qui offriez une douce retraite à l’âme affligée, le seul qui lui procuriez un rafraîchissement agréable. Nous trouvons en Vous un repos tranquille après nos travaux, un ombrage frais dans la chaleur de l’été, un modérateur dans les ardeurs de nos passions; Vous essuierez les larmes dont nous arrosons ce triste passage de la vie à l’éternité. Sans Votre divin secours, nous n’avons rien, nous ne pouvons rien, nous ne sommes rien; tout en nous n’est que faiblesse, misère, infirmité. Purifiez en nous tout ce que Vous y trouverez de souillure et d’iniquité; arrosez ce cœur aride et desséché, guérissez les plaies de mon âme en y appliquant des remèdes efficaces et salutaires. Fléchissez ce cœur rebelle et indocile: triomphez de mes résistances et de mon obstination; rendez-le souple à Vos inspirations persuasives; fondez cette glace qui le rend si froid pour les objets qui devraient l’enflammer d’amour. Hélas! il s’égare dans les voies de l’iniquité; ramenez-le dans les sentiers de la justice. C’est en Vous que nous avons mis toute notre confiance. En qui la mettrions-nous? Accordez à tous Vos serviteurs les sept dons précieux que Vous apportez du Ciel: la saVENI, SANCTE SPIRITUS

Magnificat Vol. LVI, No 5 117 Quel rapport peut-il y avoir entre la vérité et le mensonge, entre le feu de la charité et la glace des affections mondaines? Non, non, plus l’homme devient charnel, plus l’Esprit de Dieu s’éloigne de lui. Voilà pourquoi le Christianisme s’éloigne aujourd’hui des hommes et des peuples!... gesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété, la crainte de Dieu, toutes les grâces dont nous avons un si pressant besoin. Da virtutis meritum, da salutis exitum, da perenne gaudium. Ornez notre âme de vertus solides et chrétiennes, qui seules sont méritoires à Vos yeux; conduisez-nous au terme heureux du salut, à cette gloire, à cette joie, à ces délices qui ne finiront jamais. Amen, qu’il en soit ainsi. Amen.7 Dispositions à la Pentecôte 7Terminons par une réflexion utile au règlement de notre conduite. Un désir ardent de recevoir le Saint-Esprit et surtout le dégagement de toute affection désordonnée aux créatures sont les deux moyens essentiels de L’attirer dans nos cœurs. Voyez jusqu’où ce divin Esprit porte la jalousie! Certes, aucun attachement sensible ne pouvait être plus légitime, plus saint que celui des disciples pour la présence corporelle de leur divin Maître. Cependant cet attachement dut être en quelque sorte banni de leur âme, pour que le Saint-Esprit vînt en prendre possession et la remplir. Si Je ne vous quitte, leur disait le Sauveur, le Paraclet ne viendra point en vous.8 Si donc il est certain que le trop grand attachement des Apôtres à la présence sensible de l’humanité de Notre-Seigneur fut un obstacle à la descente du Saint-Esprit en eux, qui sera assez présomptueux pour se flatter de recevoir la visite du divin Paraclet, tant qu’il restera esclave de son corps? Se persuader que cette douceur céleste peut s’amalgamer avec les plaisirs des sens, que ce baume divin peut s’allier avec le poison, les lumières du Saint-Esprit avec les ténèbres du siècle, serait une étrange erreur. 7. Catéchisme de Couturier, t. 1 – On croit généralement le pape Innocent III, mort en 1216, auteur de cette prose. D’autres en font honneur au Bx Hermann Contract, moine bénédictin de Reichenau, mort en 1054. 8. S. Jean 16, 8 Pr ière Ô mon Dieu, qui êtes tout amour, je Vous remercie d’avoir envoyé le Saint-Esprit sur les Apôtres, et par eux sur toute la terre. Ne permettez pas que je contriste jamais en moi ce divin Esprit. Je prends la résolution d’aimer Dieu par-dessus toutes choses, et mon prochain comme moi-même pour l’amour de Dieu; et, en témoignage de cet amour, je craindrai beaucoup de résister aux inspirations de la grâce. Source: Monseigneur Jean-Joseph Gaume, Catéchisme de Persévérance, Paris, Gaume Frères et J. Duprey, éditeurs, 1872, tome huitième, p. 208-224.

Mais priez Mes enfants. . . - Les avertissements - 18 juillet 1830, onze heures et demie du soir. Au couvent des Filles de la Charité, à la rue du Bac (Paris, France), Sœur Catherine Labouré est éveillée par une voix mélodieuse qui l’appelle par son nom: «Sœur Labouré!» Tout près de son lit se tient un enfant d’une beauté ravissante, âgé de quatre à cinq ans. «Venez, venez à la chapelle, poursuit-il. La Sainte Vierge vous attend.» Elle apparut bel et bien, la Mère de Dieu, dans la chapelle «tout illuminée comme aux messes de minuit». Et quand Sœur Labouré, n’écoutant que son cœur, se fut précipitée à Ses côtés, posant familièrement les mains sur Ses genoux comme elle l’eût fait avec sa mère, la Vierge Marie lui dit entre autres: «Mon enfant, les temps sont très mauvais, des malheurs vont fondre sur la France. Le trône sera renversé, le monde entier sera bouleversé par des malheurs de toutes sortes…» En disant cela, une profonde tristesse se lisait sur Son visage. «Un moment viendra où le danger sera grand, on croira tout perdu. Là, Je serai avec vous… Ayez confiance, ne vous découragez pas, Je serai avec vous. «Dans le clergé de Paris, il y aura des victimes. Mgr l’archevêque1 mourra. Mon enfant, la croix sera méprisée, on la jettera par terre. On ouvrira de nouveau le côté de NotreSeigneur. Les rues seront pleines de sang, le 1. Mgr Georges Darboy (1813‐1871), archevêque de Paris, qui périt de la main des communards. Voir Magnificat Juin‐ Juillet 2020.

150e anniversaire de l ’Apparition de la Vierge Marie à Pontmain (17 janvier 1871) Sainte Catherine Labouré agenouillée près de la Vierge Marie – Statue surplombant le porche d’entrée vers la chapelle et le couvent de la rue du Bac, Paris. monde entier sera dans la tristesse.» Et des larmes, trahissant Sa profonde douleur, coulaient abondantes des yeux de notre Mère céleste, au point d’étouffer Sa voix. Consternée, Sœur Catherine se demandait intérieurement: «Quand ces choses arriverontelles? – Dans quarante ans!» lui fut-il distinctement répondu. Après quelque temps, la Vierge reprit: «De grands malheurs arriveront, le danger sera grand. Cependant, ne craignez point, la protection de Dieu est toujours là d’une manière particulière… Je serai Moi-même avec vous; J’ai toujours l’œil sur vous. Je vous accorderai beaucoup de grâces.» Commentant ces dernières paroles, Sœur Labouré expliquait: «Les grâces seront répandues particulièrement sur les personnes qui les demanderont, mais qu’on prie! qu’on prie!»2 * * * * * * * 19 septembre 1846. Sur la montagne de La Salette (Alpes françaises), deux petits bergers, Mélanie Calvat et Maximin Giraud, faisaient paître leurs vaches. Après un frugal goûter, s’étant amusés à construire une maisonnette de pierre, ils sentirent le sommeil les envahir. Tandis que ces innocentes créatures prenaient un peu de repos, les cieux s’ouvrirent et Marie, Mère de Dieu, descendit de nouveau sur le sol de France. De nouveau aussi, Elle pleurait!… 2. Le soir du 17 janvier 1871, vers 7 heures, Sr Catherine La‐ bouré sut par révélation que la Vierge apparaissait dans l’Ouest de la France, tandis que ses compagnes et leurs jeunes ouvrières s’exclamèrent devant la teinte extraordinaire du ciel «plein de mystère, comme enveloppé d’un voile de crêpe léger». «Avancez, Mes enfants, dit-Elle aux bergers quand, éveillés, ils L’eurent aperçue. N’ayez pas peur. Je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle. «Si Mon peuple ne veut pas se soumettre, Je suis forcée de laisser aller la main de Mon Fils. Elle est si lourde et si pesante que Je ne puis plus la retenir. «Depuis le temps que Je souffre pour vous autres! Si Je veux que Mon Fils ne vous abandonne pas, Je suis chargée de Le prier sans cesse, et vous autres, vous n’en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que J’ai prise pour vous autres…» Le discours de la Vierge en pleurs continua quelque temps. Elle livra un secret à Maximin, Magnificat Vol. LVI, No 5 119

120 Vol. LVI, No 5 Magnificat puis S’adressant à Mélanie seule, Elle lui dévoila un long message «qui ne serait pas toujours secret»3, dont voici quelques extraits. «Dieu va frapper d’une manière sans exemple. Malheur aux habitants de la terre! Dieu va épuiser Sa colère et personne ne pourra se soustraire à tant de maux réunis. […] Dieu abandonnera les hommes à eux-mêmes, et enverra des châtiments… La société est à la veille des fléaux les plus terribles et des plus grands événements; on doit s’attendre à être gouverné par une verge de fer et à boire le calice de la colère de Dieu. […] «Au premier coup de Son épée foudroyante, les montagnes et la nature entière trembleront d’épouvante, parce que les désordres et les crimes des hommes percent la voûte des cieux… On croira que tout est perdu; on ne verra qu’homicides, on n’entendra que bruit d’armes et que blasphèmes. Les justes souffri3. «Mélanie, ce que Je vais vous dire maintenant ne sera pas toujours secret; vous pourrez le publier en 1858.» La bro‐ chure L’Apparition de la très Sainte Vierge sur la Montagne de La Salette est disponible aux Éditions Magnificat. ront beaucoup; leurs prières, leur pénitence et leurs larmes monteront jusqu’au Ciel et tout le peuple de Dieu demandera pardon et miséricorde et demandera Mon aide et Mon intercession. […] «Qui pourra vaincre, si Dieu ne diminue le temps de l’épreuve? Par le sang, les larmes et les prières des justes, DieuSe laissera fléchir.» La belle Dame termina Son discours par ces paroles: «Eh bien, Mes enfants, vous le ferez passer à tout Mon peuple.» Puis, S’éloignant, Elle répéta sans Se retourner: «Eh bien, Mes enfants, vous le ferez passer à tout Mon peuple.» Au lendemain de l’Apparition, nos petits voyants se rendirent au presbytère afin de tout raconter au bon abbé Perrin, curé de La Salette. Ils furent reçus par la domestique qui les questionna. Ils lui firent tout bonnement le récit de l’Apparition. Ils parlaient encore, quand la cloche sonna pour la messe. Alors le curé Perrin qui écoutait dans une pièce voisine, obligé de se rendre à l’église pour célébrer, ouvrit la porte avec fracas. «Mes enfants, s’écria-t-il en pleurant, nous sommes perdus! Le bon Dieu va nous punir. Ah! C’est la SainteVierge qui vous est apparue!» Et il partit pour dire la messe. Oui, le bon Dieu allait punir. Divers châtiments suivirent de près la menace. Si seulement le peuple se tournait vers Dieu et, reconnaissant ses péchés en toute humilité, consentait à se convertir. «Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, écrivait Mélanie des années plus tard, et parce qu’Il est presque inconnu et oublié… Il faut que la France [N.D.L.R. et le monde] s’humilie et demande pardon de ses péchés, qu’elle promette de servir Dieu de cœur et d’âme et d’observer Ses commandements sans respect humain. Oui, prions beaucoup et faisons pénitence.» Et quelques jours après: «Prions, prions, prions beaucoup, ne cessons de prier et de demander miséricorde.» 4 Qui a voulu entendre les solennels avertissements du Ciel? Il y a bien eu la réponse de quelques bonnes âmes, ici et là, dans le secret 4. Lettres à sa mère, du 11 et du 29 novembre 1870.

Magnificat Vol. LVI, No 5 121 d’un cloître, d’une paroisse inconnue. Mais trop peu, trop peu pour désarmer le bras de Dieu. - Le châtiment - Le 18 juillet 1870, quarante ans jour pour jour après l’apparition de la Sainte Vierge à Catherine Labouré, les relations diplomatiques entre la France et la Prusse s’envenimaient dangereusement. Le lendemain 19, Napoléon III, empereur des Français, signait la déclaration de guerre. Ce ne furent, dans tout le pays, que manifestations d’enthousiasme et scènes de délire: tous croyaient à une victoire rapide et éclatante. «À Berlin, à Berlin!» criait-on de toutes parts. Hélas! les rêves de triomphe firent bientôt place au cauchemar. «Les générations postérieures, écrivait un vénérable religieux, ne peuvent se faire une idée de cette étrange période de notre histoire, de cette campagne commencée avec tant d’enthousiasme et tant d’illusions et se poursuivant, malgré les talents incontestables de nos généraux, malgré la valeur et les qualités exceptionnelles de nos troupes, par une série implacable de revers et de catastrophes, où la raison humaine ne savait voir qu’une sombre fatalité, mais où l’on sentait le châtiment surnaturel d’un peuple pour l’abandon de la dignité et des obligations de sa mission providentielle.»5 Confusion dans les ordres, maladie dans les camps, marches et contremarches indécises, intempéries prodigieuses6… Tous les éléments sont réunis pour assurer non la victoire, mais une cuisante et humiliante défaite. De fait, inférieure en hommes comme en armes, insuffisamment organisée, l’armée française enregistre un nombre impressionnant de revers. Les villes tombent les unes après les autres sous la puissante artillerie prussienne: Strasbourg, Metz, Rouen, Verdun, Orléans. Au soir du 2 septembre, le pays apprend avec épouvante que Napoléon III est fait prisonnier à Sedan avec plus de 80 000 hommes. Et déjà, 5. Dom Antoine du Bourg, prieur de la communauté bé‐ nédictine Sainte‐Marie de Paris. Voir la référence complète à la fin de l’article. 6. Voir l’encadré à la page suivante l’aigle allemand fond sur Paris et entreprend les travaux du siège. C’est, en quelques semaines, la déroute militaire, l’effondrement du Second Empire.7 Une terreur panique se répand parmi la population, qui tremble aux approches de l’impitoyable envahisseur. «Qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de malheureux en France? demandait Mélanie de La Salette. Il faut que la France reconnaisse que cette guerre est purement de la main de Dieu…»8 - Cri de foi - Sous le coup des désastres nationaux, la foi d’un grand nombre se rallume enfin. Les écailles tombent des yeux; il se murmure que Dieu châtie la France. Un peu partout, confrontées au péril, à la crainte des Prussiens victorieux déferlant sur le pays, les populations, dans un retour sur elles-mêmes, promettent de changer de vie, de se réformer, de construire ou restaurer des sanctuaires si la guerre se détourne d’elles. C’est Tours, dont les pieux habitants, réunis près du tombeau de saint Martin ou dans l’oratoire de la Sainte Face, font inlassablement monter des prières vers le Très-Haut. C’est Lyon qui se place solennellement sous la protection deMarie (vœu du 8 octobre 1870), et promet de reconstruire le sanctuaire marial de Fourvière.9 C’est Paris, Paris affamée et bombardée, qui se presse dans ses plus vénérables églises: Saint-Sulpice, Sainte-Geneviève, Saint-Roch… Une prière circule, sans cesse reprise par les fidèles, et que l’on croirait écrite pour notre temps: 7. Deux jours après le désastre de Sedan, Léon Gambetta, alors simple député, déclarait la déchéance de l’empereur Na‐ poléon III et le retour de la République; c’est la fin du Second Empire. 8. Lettre à sa mère du 29 novembre 1870 9. La ville de Lyon, si attachée à la Madone de Fourvière et à juste titre, n’a pas été déçue dans sa confiance. Grâce à l’intercession de Marie, elle fut doublement protégée, de la Commune d’abord (ébauche de celle qui eut lieu à Paris, au printemps de 1871), puis des Prussiens, qui furent défaits à Dijon et épargnèrent la vallée de la Saône.

«Vous voyez à Vos pieds, ô Marie conçue sans péché, des pécheurs et des malheureux, confessant qu’ils ne sont si malheureux que parce qu’ils sont pécheurs. Chez nous, la majesté de Dieu a été publiquement insultée; Son saint jour violé par le négoce, le travail et le plaisir; Son Église avilie, méconnue et persécutée. Nous nous sommes abandonnés, sans mesure et sans frein, aux joies coupables, au luxe, secouant le joug salutaire de toute obéissance et de tout respect, et nous n’avons plus poursuivi qu’un seul but: le bien-être matériel, oubliant ainsi nos devoirs de famille, nos vrais intérêts, nos éternelles destinées… ô Dieu, venez à notre secours! 122 Vol. LVI, No 5 Magnificat Venez, car sans Vous nous sommes perdus! Nous nous présentons à Vous sous le patronage de notre Mère, la Vierge Immaculée.» Plus la situation devient alarmante, plus le cri de foi devient pressant. Janvier 1871 arrive, et Paris ne peut presque plus soutenir les efforts d’une défense héroïque. Alors se déroule à Notre-Dame desVictoires un spectacle d’une beauté surnaturelle. C’était le soir même du 17 janvier, vers les six heures, pour être précis. Une foule compacte remplit le sanctuaire, accourue pour prendre part à la neuvaine publique en l’honneur de Notre-Dame. Parmi les initiateurs de cette neuvaine: l’abbé Laurent Amodru, vicaire. Ce «On peut dire que si la France était poussée à la défaite par la faiblesse de son organisation, elle a en outre épuisé toute la série des chances contraires. Ainsi, quoi de plus fatal pour elle que le rôle qu’ont joué les saisons? Les circonstances météorologiques ont constamment lutté contre nous. Il semblait que la nature eût fait un pacte avec nos ennemis. Chaque fois qu’ils se mettaient en marche, ils étaient favorisés par un temps admirable, tandis que tous nos mouvements étaient contrariés par la pluie ou le froid. […] Qui ne se rappelle le temps exceptionnel qui a régné […] alors que l’armée prussienne marchait sur Paris et installait les travaux de siège? Qui ne se rappelle également la température printanière qui a régné dès la fin de janvier, aussitôt après l’armistice?... Autant l’hiver avait été rude pour les mouvements de notre armée de l’Est, autant il a été propice pour le retour des Prussiens en Allemagne... Oui, un ensemble de coïncidences malheureuses s’est joint à la faiblesse organique de la France pour déjouer tous ses efforts. Et cet ensemble a été tel que véritablement, quand on l’envisage, on est tenté de se demander s’il n’y a pas eu là quelque raison supérieure aux causes physiques, une sorte d’expiation de fautes nationales... En présence de si prodigieuses infortunes, on ne s’étonne plus que les âmes religieuses aient pu dire: Digitus Dei est hic! Le doigt de Dieu est là.» Charles de Freycinet, La Guerre en province.

soir, pour ouvrir les exercices, il prend la parole. De quoi peut-il bien entretenir les âmes, si ce n’est des douleurs communes à tous: la guerre, la défaite... Puis subitement, le vicaire prononce ces paroles, visiblement inspirées, qui font tressaillir l’assistance: «Nous ne franchirons pas le seuil de ce temple consacré à la SainteVierge sans avoir promis de Lui offrir un cœur d’argent, qui apprendra aux générations futures qu’aujourd’hui entre 8 et 9 heures du soir, tout un peuple s’est prosterné aux pieds de Notre-Dame des Victoires et a été sauvé par Elle!» Retenons la date et l’heure… Après la capitulation de Sedan (2 septembre 1870), les Prussiens marchèrent sur Paris. Coïncidence? C’est au soir du 19 septembre 1870, vingt-quatre ans jour pour jour après les solennels avertissements de Marie, que la capitale entre officiellement en état de siège. Entièrement coupés du reste de la France, les Parisiens eurent à subir le froid d’un hiver exceptionnellement rigoureux, la faim (on alla jusqu’à manger les animaux exotiques du Jardin des Plantes), et les bombardements d’un implacable ennemi. Surtout, ce sont les provinces de l’Ouest, ces terres si chrétiennes, encore vibrantes des paroles d’un saint Louis-Marie deMontfort, encore humides du sang de ses valeureux soldatsmartyrs, les Cathelineau, les d’Elbée, les Charrette, qui font monter leurs cris vers leCiel. Depuis la bataille du Mans, définitivement perdue par les troupes du général Chanzy (12 janvier 1871), ce n’est plus la crainte, c’est l’épouvante qui règne sur la Bretagne, la Normandie, le Maine, l’Anjou!... «C’est le secret de LaSalette qui éclate sur nous!» s’écrient les paysans vendéens. Et, à côté de la croix, grand L’Oratoire de la Sainte Face (en 1877), chez le vénérable Léon Dupont (1797-1876), le saint homme de Tours. À l’époque de la guerre franco-prussienne, ce grand chrétien disait: «Voici les Prussiens à Orléans. On ne sait pas s’ils viendront à Tours. Dans tous les cas rien ne se fera qu’avec la permission du Maître. Que Son saint nom soit béni!... Il n’y a rien à dire, rien à faire qu’à nous humilier, la tête dans la cendre, laissant passer la justice de Dieu.»

124 Vol. LVI, No 5 Magnificat nombre tracent cette invocation au-dessus des portes d’entrée de leurs maisons: «Notre-Dame de La Salette, retenez le bras deVotre Fils qui s’appesantit sur nous!» Laissons de côté tous ces bourgs et villages où les habitants se succèdent nuit et jour au pied des autels, et allons droit à Saint-Brieuc (Bretagne). Là se dresse un antique sanctuaire consacré àMarie Immaculée, et siège de l’Archiconfrérie de Notre-Dame d’Espérance. Comme en 184810, les fidèles de Saint-Brieuc – et surtout les membres de l’Archiconfrérie – assiègent la chapelle de Notre-Dame d’Espérance et multiplient les prières publiques. Les neuvaines succèdent aux neuvaines, le rosaire est récité en commun par une foule toujours renouvelée de priants. Par intervalles, l’on reprend le cantique composé par l’abbé Prud’homme, devenu populaire dans tout le pays: Mère de l’Espérance… La situation devenant de plus en plus grave, la pensée d’un vœu naît dans le cœur des fidèles. «Afin d’obtenir l’intervention de Notre10. Voir le texte adjacent: Notre‐Dame d’Espérance de Saint‐Brieuc et le chanoine Paul‐Marie Prud’homme Dame d’Espérance et le secours de Sa protection contre les fléaux qui nous menacent, nous promettons, lorsque ces grâces auront été accordées, de contribuer, selon nos moyens, au don d’une riche bannière offerte comme ex-voto, qui fera flotter dans les airs l’image de la Madone.» Ce vœu, présenté et approuvé par l’évêque le 17 janvier vers cinq heures et demie du soir, est officiellement prononcé par quelques associés le même soir, à six heures. Suit une cérémonie de supplications publiques qui dure jusqu’à neuf heures. Retenons ici encore la date et l’heure… - La réponse du Ciel - Nous voilà à Pontmain, gracieux village de la Mayenne, situé aux confins de la Bretagne et de la Normandie. Sous la conduite d’un saint curé, l’abbé Michel Guérin, les quelques centaines d’habitants y vivent en vrais chrétiens, dans le travail, la simplicité et la paix. Or depuis six mois, la paix a fait place à l’angoisse: le pays est en guerre. Bientôt arrive l’ordre de levée en masse des hommes valides. Cet appel touche trente-huit jeunes hommes du village. Les larmes aux yeux, mais la Au mois de juin suivant l’armistice, 37 des 38 paroissiens mobilisés de Pontmain rentraient dans leurs foyers. Il en manquait un, prisonnier en Allemagne. Confiante dans la promesse de Marie et les mérites de l’abbé Guérin, sa sœur demanda au saint curé une messe pour le prompt retour de son frère. La messe fut fixée au 17 juin. Le célébrant s’apprêtait à monter à l’autel, quand le jeune homme entrait au village, sain et sauf. Marie avait gardé tous Ses protégés! Ex-voto suspendu dans la basilique de Pontmain

Magnificat Vol. LVI, No 5 125 confiance au cœur, l’abbéGuérin a consacré les partants à la Sainte Vierge, promettant d’un ton assuré qu’ils reviendraient tous. À ceux qui restent, le curé demande de ne faire qu’un cœur et qu’une âme et de s’unir dans une supplique incessante vers le Ciel. Dès lors, chaque matin à la messe, l’église est presque aussi remplie que le dimanche. Des prières spéciales pour les soldats et pour la patrie suivent le Saint-Sacrifice. Le soir, on se réunit encore au sanctuaire pour implorer la Vierge Marie, Reine de la Paix. Il n’est pas jusqu’aux petits enfants qui interrompent d’heure en heure leur Ordonné prêtre en 1837, Paul-Marie Prud’homme fut nommé directeur de la Congrégation de la Sainte Vierge de Saint-Brieuc et gardien de la chapelle de l’Immaculée Conception. Animé d’une profonde dévotion à la Vierge, l’abbé Prud’homme aimait à L’invoquer sous le vocable de NotreDame d’Espérance. Il regrettait que cette invocation ne fut pas plus répandue: «Il y a, disait-il, Notre-Dame des Victoires, Notre-Dame de la Garde, Notre-Dame de Bon-Secours, NotreDame des Grâces, Notre-Dame de la Délivrance, etc. Pourquoi n’y a-t-il pas Notre-Dame d’Espérance, puisque ce titre répond si bien aux aspirations des âmes chrétiennes et puisque, mieux que beaucoup d’autres peut-être, il est consacré par la sainte liturgie1?» Un miracle de la Vierge, survenu en 1847, lui donna occasion de répandre au loin cette dévotion si chère à son cœur. Cette année-là, le petit vicomte Hyacinthe de Bélizal agonisait, miné par la typhoïde. Agenouillé près du pauvre malade, l’abbé Prud’homme fit à Marie cette prière inspirée: «Je n’ai plus rien à Vous offrir; mon cœur, Vous l’avez; des biens, je n’en ai pas, ou si j’en ai, ils sont à Vous. Accordez la guérison que tant d’âmes pieuses vous demandent, et tous mes efforts tendront à Vous faire appeler et à Vous faire honorer sous le titre de Notre-Dame d’Espérance, car une fois de plus, Vous aurez prouvé qu’ici on ne Vous invoque jamais en vain.» Sa prière plut à la Vierge: peu après, l’enfant entrait en convalescence, contre toute prévision humaine. Fidèle à sa promesse, l’abbé Prud’homme devint plus que jamais l’apôtre et le propagateur infatigable du culte à Notre-Dame d’Espérance. 1. «Je suis la Mère du bel amour, de la crainte, de la science et de la sainte espérance.» Ecclésiastique 24, 24 Notre-Dame d’Espérance de Saint-Brieuc et le chanoine Paul-Marie Prud’homme (1812-1882) travail scolaire pour chanter un couplet du cantique: Mon doux Jésus, enfin voici le temps, de pardonner à nos cœurs pénitents. Mais le Ciel semble d’airain… Des nouvelles de plus en plus alarmantes parviennent au village. Les défaites succèdent aux capitulations, Paris assiégé, Orléans vaincu, LeMans perdu et les Prussiens qui avancent, avancent toujours!... Les voici à quelques kilomètres de Laval, si près de Pontmain. Sans nouvelles de leurs soldats, alarmés par les récits des exactions de l’armée prussienne, les confiances les plus robustes commencent à chanceler. Au soir 

La chapelle de l’Immaculée Conception s’avéra rapidement insuffisante face à l’extension de l’Archiconfrérie. Démolie en 1856, elle fut reconstruite (photo ci-contre) sur un plan beaucoup plus vaste, dont l’abbé Prud’homme fut lui-même l’architecte. Qui dira les difficultés qu’il dut vaincre, les obstacles qu’il dut surmonter pour élever à Marie un sanctuaire digne de Sa gloire? Mais rien ne rebutait le fidèle apôtre de Notre-Dame d’Espérance. En moins de vingt mois, l’édifice fut terminé. Saint Pie X l’éleva au rang de basilique mineure en 1903. Survint la révolution de 1848: le trône est renversé, le sang coule dans les rues, le désordre et la panique règnent partout. À Saint-Brieuc, la population vient chercher secours aux pieds de Marie dans la chapelle de l’Immaculée Conception. Pendant un mois entier une prière ininterrompue s’élève pour le salut de la France. Témoin de ce mouvement de piété extraordinaire, et redoutant qu’il ne cesse aussitôt le danger passé, l’abbé Prud’homme conçut le projet d’organiser la prière en permanence: c’est l’origine de l’Association de prière et de bonnes œuvres pour le salut de la France, sous le patronage de Notre-Dame d’Espérance. Groupant d’abord une centaine, puis quelques milliers de membres, la Confrérie comptait bientôt des associés dans le monde entier. À cette nouvelle armée, il fallait un cri de ralliement, un chant qui fût la touchante expression de ses désirs et de sa raison d’être. Du cœur de l’abbé Prud’homme jaillit le cantique suivant, auquel le Ciel devait répondre en 1871: Mère de l»Espérance Dont le nom est si doux, Protégez notre France, Priez, priez pour nous! Le fondateur de l’Archiconfrérie était au comble de ses vœux: il voyait les fidèles se grouper en foule sous le manteau de Notre-Dame d’Espérance et accourir à Son sanctuaire. Toutefois, avant de le laisser chanter son Nunc dimittis, Marie voulut Elle-même apporter à Son serviteur une preuve irrécusable de satisfaction, en même temps qu’une solennelle consécration de l’œuvre qu’il avait entreprise pour Sa gloire. À l’heure même où quelques membres de l’Archiconfrérie, au nom de tous, prononçaient un vœu à Notre-Dame d’Espérance, cette même Reine du Ciel apparaissait à Pontmain. Il y a plus: à la demande du vénérable curé Guérin, Sœur Marie-Édouard entonna un cantique à la Vierge. C’était celui-là même composé par l’abbé Prud’homme. Pendant que ces strophes si

RkJQdWJsaXNoZXIy MTM4MjU1NQ==